Entretiens
« Dantec : "Sans le communisme, les Russes auraient réussi leur conquête lunaire avant les Américains" »
[16 avril 2014], propos recueillis par Alexandre Latsa, La Voix de la Russie, 22 avril 2014.
Maurice Dantec est bien connu des fans de polars ou de science-fiction. Exilé en Amérique du nord, celui-ci a récemment publié sur le site Transfixion un texte au sujet de la Russie intitulé : « La dernière puissance mondiale ». Il a accepté de répondre aux questions de La Voix de la Russie.
Maurice Georges Dantec bonjour, et merci de bien vouloir accorder une interview à Rossiya Segodnya, qui est la fusion des agences RIA Novosti et La Voix de la Russie. Pourriez-vous vous présenter pour les lecteurs qui ne vous connaîtraient pas ?
C’est très certainement la chose la plus difficile. Se présenter. En tant qu’écrivain, surtout ! Je vais tenter ici une très brève autobiographie d’auteur :
– Mon premier roman, La Sirène rouge, fut publié par la Série Noire, aux Éditions Gallimard, sous la direction de Patrick Raynal. Le roman fait se télescoper la guerre alors en cours dans l’ex-Yougoslavie et une course poursuite trans-européenne, entre une mère tueuse en série et sa fille. Apparition première du « soldat de fortune » Hugo Cornélius Toorop.
– Je suis parti de France pour le Canada en 1998, pressentant la course ultra-violente qu’allaient prendre les relations « interethniques » dans les grandes conurbations — comme la couronne de la banlieue parisienne — banlieue où je vivais depuis 1970.
– Je l’ai souvent dit : je me considère désormais — ayant également la nationalité canadienne — comme un écrivain nord-américain de langue française. Aujourd’hui je spécifierais sans doute : de langue française ET anglaise.
– Je réapprends le russe, très mal enseigné en tant que 1ère langue étrangère lors de ma scolarité.
Vous avez récemment écrit et publié sur le site Transfixion un texte intitulé : « La dernière puissance mondiale » dans lequel vous dites (je vous cite) que « Vladimir Poutine vient de renverser le cours de l’Histoire ». Pourriez-vous expliquer ce que vous voulez dire ?
Oh… J’ai tellement écrit à propos du futur russe ! J’ai souvent dit et répété que les « nations » de l’OTAN, et tout particulièrement les USA, avaient raté la chance historique, peu de temps après le 11 septembre, de changer radicalement la donne en refondant l’Organisation Atlantique pour en faire une Alliance transocéanique intégrant la Russie !
Poutine se dresse contre toutes les « micro-nations » d’inspiration « jacobine », qu’elles soient sous les ordres directs de l’ONU et/ou de la Commission de Bruxelles depuis des décennies, ou qu’elles fassent partie de ces néo-territoires « ethniquement déterminés » — comme le Kosovo par exemple.
Il ne faut jamais oublier que l’ONU fut dirigé pendant une douzaine d’années, entre les années 70 et 80, par un ancien officier SS, nommé Kurt Waldheim, responsable de la déportation de centaines de milliers de Juifs de Salonique, et qui parvint à faire condamner Israël par l’UNESCO comme « État raciste » !
Vladimir Poutine s’est dressé contre un « Monde » qui doit ses « droits et libertés » à un peuple ayant sacrifié la moitié des morts de la Seconde Guerre Mondiale, et qui passe son temps à lui donner des « leçons de démocratie ». C’est ce que je dis clairement dans ce texte.
Vous pointez du doigt dans votre texte simultanément « le monde Transhumaniste/Écolo/Socialo/Néo-nazi (…) L’Agence locale du Grand Immeuble de Niou-Yaurque, et sise dans cette sinistre ville de Bruxelles, et (…) l’Axis Mundi planifié par les bureaucrates onuzis et leurs myriades de complices ». Qu’entendez-vous exactement par là ?
La version ONU 2.0 en train de se mettre en place comme « monde de substitution ». Un simulacre planétaire. Un « Reichstag des (micro)nations », dirigé par une bureaucratie supranationale qui désire un Monde Sans Dieu, mais où l’« Homme » parviendrait à la « perfection » grâce à un « néo-gnosticisme » technologique (!) et fourmillant de « divinités » en kit, parfaitement écolo-géré, c’est à dire : DÉCROISSANCE/DÉSINDUSTRLISATION, sujet de mes romans d’anticipation Cosmos Incorporated et Grande Jonction, aux éditions Albin Michel, et sujet de Satellite Sisters.
Dans votre texte vous mentionnez également la « Sainte Russie ». Depuis l’an 2000, c’est un fait que l’église orthodoxe reprend toute son importance en Russie, que ce soit au sein de son peuple comme ses élites. Ce retour du religieux et du sacré est en totale contradiction avec la direction prise par la majorité des nations européennes de l’Ouest qui sombrent dans un athéisme quasi-totalitaire. Comment l’expliquez-vous ?
Le Jacobinisme. L’esprit des « Lumières », fondamentalement antichrétiennes, bourgeoises, qui ont fini par engendrer l’ONU et désormais son « update » dont je parlais plus haut. En fait, je le dis dans un livre peut-être à paraître, mais Hitler et Lénine ne furent, au bout du compte, que des « Ultrajacobins » allemand et russe.
En 1998, alors que vous quittiez une Europe que vous jugiez sans avenir, la Russie connaissait une terrible crise économique qui faisait suite à sept ans de crise qui ont mis en danger son unité territoriale en tant que pays. Pourtant, l’arrivée de Vladimir Poutine a complètement retourné le sens de l’histoire russe. Quel regard portez-vous sur cet évènement ?
Comme je le dis dans un des « Théâtre des opérations » : sans le communisme, les Russes auraient réussi leur conquête lunaire AVANT les Américains, et ils seraient sur Mars.
Les pauvres idiots d’économistes ou de « stratèges » politiques occidentaux ne lisent pas de livres de science-fiction. Les Généraux du Pentagone, si. Ils ont même un « quota » à respecter.
Après 15 ans dans l’hémisphère nord-américain, quel regard portez-vous sur cette partie du monde ?
C’est là où ça se passe, où ça va se passer, de toute façon — « as usual ».
Mais dans la nouvelle configuration apportée justement par la Nouvelle Russie, ses ressources incroyables, humaines, matérielles, géographiques, historiques.
Votre regard sur l’Europe a-t-il changé ? Que pensez-vous qu’il devrait se passer au cœur du continent dans les prochaines années ?
Il n’y a pas d’« Europe », sinon un « machin » — comme aurait dit de Gaulle — composé de fonctionnaires cooptés, non élus, non mandatés, mais dont les « directives » écolo-socialistes font force de loi dans tous les parlements de l’UE.
Cette « Europe » onuzie est condamnée à pourrir lentement ou alors à disparaître très vite, à la vitesse d’un avion à réaction, si vous saisissez mon allusion.
L’Amérique est souvent montrée du doigt, à juste raison du reste, pour son immixtion dans les affaires européennes. L’extension de l’Otan à l’Est est vécue par les Russes comme une menace significative. Quelle est votre opinion à ce sujet, vous qui êtes un fervent défenseur de l’OTAN ? Comment imaginez-vous les relations russo-américaines à l’avenir ?
Je pense avoir répondu à cette question plus haut. Il faut une Confédération des Nations Libres pour contrer l’ONU et ses alliés, où qu’ils se trouvent, y compris et surtout à Washington. Mais il existe une TRÈS FORTE RÉSISTANCE interne — typiquement « américaine » — à cette direction, prise par OBAMA très clairement. Suivez des yeux les États de l’Ouest et du Sud.
Suivez ce qui se passe au Colorado.
La Croatie vient d’intégrer l’UE pendant que la Serbie quant à elle résiste en tentant de préserver un droit de regard sur la destinée du Kosovo. Quel regard portez-vous sur l’évolution de ces deux pays qui ont tant compté pour vous, des années 90 à 2014 ?
Très sincèrement, il me faudrait des pages entières, déjà écrites par ailleurs dans le dernier « Théâtre des opérations (American Black Box) ».
Vladimir Poutine est haï par le Mainstream médiatique hexagonal. Nos journalistes dans leur très grande majorité lui reprochent tant son franc-parler, son patriotisme, que ses lois contre la propagande homosexuelle aux mineurs ou sa volonté de refaire de la Russie une grande puissance. Ils ne lui pardonnent pas de ne pas vouloir faire de la Russie un pays membre de l’UE. Vous qui avez eu à faire (cf. votre passage chez Ardisson) à ce « Mainstream autoritaire», comment expliquez-vous cette haine insensée des journalistes contre la Russie de Poutine ?
Tout ce que je viens de vous dire est à la base de cette « haine » des petits roitelets français mais plus généralement des bouffons occidentaux, arabo-musulmans, écolo-transhumanistes, supranationalistes, ou pire encore : néonazis/néotrotskistes comme on le voit dans la « crise » de Crimée, qui a CALMÉ TOUT LE MONDE.
Envisagez-vous d’écrire un nouveau livre ? Vos lecteurs ont-il une chance d’espérer un retour de Toorop ?
UN nouveau livre ? J’ai peur d’avoir un « programme » qui risque de me conduire un peu plus loin, je le crains, surtout pour certains « critiques » du fameux « Hexagone ».
Je laisse aux lecteurs de mes prochains romans le soin de découvrir ce que va devenir ce personnage.
Comme disait Nietzsche : Il va devenir ce qu’il est.
Souhaiteriez-vous rajouter quelque chose à l’attention des lecteurs de Russie Aujourd’hui ?
La Vérité les rendra libres. – Ancien Testament –
« Maurice G. Dantec. Entre fiction et simulacres »
[22-27 août 2012], propos recueillis par Thomas Mafrouche, Gonzaï, 2 septembre 2012.
Deux années que nous étions sans nouvelles de Maurice G. Dantec, pyromane du verbe et grandiose alchimiste connu pour sa fusion hors normes de polar et de SF. Il nous revient cette rentrée littéraire avec Satellite Sisters, suite de Babylon Babies unanimement acclamée. L'auteur n'est pourtant pas à la fête puisque, après s'être férocement battu contre la maladie, il doit aujourd'hui affronter la maison d'édition Ring, menée d'une poigne de fer par son ancien agent, David Kersan. C'est depuis le Canada que Maurice G. Dantec nous expose les faits.
À la surprise générale, un violent conflit a éclaté entre vous et, de l'autre opté, David Kersan et sa maison d'édition, Ring, qui publie votre nouveau roman, Satellite Sisters. Un conflit qui s'est soldé par un procès au civil le 17 août 2012, suivi d'une plainte pénale pour abus frauduleux de l'état de faiblesse. Pouvez-vous établir, pour nos lecteurs est les vôtres, votre version des faits ?
Absolument. Je suis en mesure d'affirmer que David Roger Noël Serra, dit « Kersan », et son principal collaborateur m'ont fait signer un contrat illégal pour une série de raisons, en cours d'analyse par le Parquet, ou dans l'attente d'un jugement sur le fond, comme le contrat frauduleux en état de faiblesse, la nullité générale du contrat de commande d'ouvrages et diverses autres malfaçons qui font l'objet des plaintes déposées à son encontre. Bref, je n'ai signé aucun véritable contrat, et ce dans le seul but, sur mon nom et ma notoriété, d'attirer au plus vite les investisseurs pour le montage de sa propre maison d'édition.
Pourriez-vous nous donner un aperçu chronologique des événements qui ont empêché toute résolution de ce conflit à l'amiable ?
Depuis 2010, alors que j'écrivais un roman pour les éditions Rivages, David Roger Noël « Kersan » s'est à la fois auto-bombardé expert en littérature et Conseil de Style de l'écrivain Maurice G. Dantec. Durant la rédaction de ce roman pour F. Guérif, il n'a cessé de m'affubler d'insultes (« écrivain fini » ou « sur la pente descendante », « en perte de lecteurs par ma seule faute ») en m'interdisant formellement toute référence théologique – « victimette » dès que j'osais me plaindre de ces injonctions diverses, « petit gauchiste » lorsque je fis valoir mes droits d'écrivain libre, « malade mental obsessionnel », « totalement illisible », j'en passe – de sarcasmes diversement répétés (ex : le fait de transposer le titre d'un de mes romans prévus au « contrat », Le Crépuscule de l'Ouest en À l'Ouest du Crépuscule relevait du pur gag), et pour le seul Satellite Sisters : de conseils péremptoires quant à mon style (j'usais d'un procédé qui n'avait pas l'aire de lui plaire, et qu'en fait il ne comprenait pas) ainsi qu'à mes structures narratives, d'impératifs de tous ordres concernant « l'adaptation nécessaire du récit aux attentes du lectorat », de chantages, de menaces, se moquant au passage ouvertement de ma foi en la Trinité, donc en la Présence Réelle, alors qu'il ose se prétendre catholique ! Entre fin 2010 et fin 2011, il m'a imposé, sans la moindre discussion possible, cinq réviseurs-correcteurs de suite afin de « contrôler-superviser » mon travail ! Heureusement, j'ai pu faire fi de ses avis, grâce entre autres au dernier binôme de réviseurs commandités qui, au moins, possédaient une authentique culture littéraire.
Au Cap Ferret, lors d'une « session de préparation à ma rentrée de septembre », il osa, devant témoins, m'enjoindre de le « REGARDER DANS LES YEUX LORSQU'IL ME PARLAIT ». À mon retour, il téléphona illico à ma femme, en décrivant mon comportement comme « chaotique » et en exigeant un régime alimentaire drastique, ainsi qu'une tenue vestimentaire constituée de costumes à épaulettes, sans quoi il menaçait d'annuler sans condition la tournée de promotion Satellite Sisters. Tout cela est corroboré par une vaste collection d'e-mails en possession de mon avocat et du témoignage de mon épouse, qui n'en est toujours pas revenue.
Ce roman semblait marquer un tournant décisif dans votre carrière d'écrivain ; est-ce que des éléments narratifs et/ou stylistiques précis ont eu un rôle à jouer dans ce violent contentieux ?
Dans ce roman, le réel est intégré de façon active à la fiction. En décrivant le « Las Vegas orbital » je ne fais que transposer dans 20 ans les projets actuels de Richard Branson, Elon Musk ou Franklin Chang-Diaz en matière de conquête spatiale privée. C'est la raison pour laquelle ces trois hommes jouent un rôle central dans le récit, parmi les personnages de fiction venus de Babylon Babies, ou apparaissant à leur suite en tant que seconde génération. Les jumelles Zorn elles-mêmes, devenues adolescentes, se singularisent, deviennent autonomes d’une destinée génétique qui semblait tracée d’avance. Le roman dans son entier est élaboré sur cette notion d’évolution en actes, ou c’est parce que Dieu nous a fait à son image, donc êtres libres, que l’humain en est à ses débuts et qu’il n’est pas fait, comme disait l’astronauticien russe Tsiolkovsky, pour « rester toute sa vie au berceau », phrase cruciale que je reprends en exergue.
L’humanité, du coup, va se diviser en deux branches irréconciliables : d’une part ceux qui assumeront le risque de l’évolution vers l’Homme Intégral, celui de l’Infini, et la Majorité Globalitaire qui préférera le confort terrestre éco-normalisé, éthiquement correct, fait de nations micronisées réassemblées en territoires soumis à une bureaucratie abolissant à la fois souverainetés historiques et cohérences géographiques. La « dictature-monde » de l’ONU 2.0 n’y est donc plus vraiment collective, comme au XXe siècle, mais est en fait basée sur une démultiplication universelle de la « perversion narcissique », que l’on pouvait jusqu’alors considérer comme un totalitarisme sociopathique « individuel », mais qui devient un nouvel « humanitarisme » écolo-éthique, où l’indifférence est généralisée sous couvert de « l’amitié entre les hommes ».
Toutes ces notions, David Roger Noël Serra dit « Kersan » s’avère incapable de les assimiler et, au bout du compte, s’en contretape au dernier degré, tout ce qui compte à ses yeux, c’est que mon apparence physique puisse être correctement adaptée à ses caméras HD de luxe, à 21 millions de pixels et à plus de 6 000 euros pièce pour la seule optique « pierres angulaires de la singularité des éditions Ring », je le cite.
Revenons un peu dans le passé, tout en faisant un pas de côté dans le domaine de vos activités musicales. Après votre aventure Schizotrope en compagnie de Richard Pinhas, vous avez, conjointement avec David Kersan, réalisé un album de rock sour le nom d'Aircrash Cult, en 2008. Celui-ci n'est jamais sorti, y a-t-il eu à cette occasion un conflit analogue à celui qui nous occupe aujourd'hui ?
Aircrash Cult n’est pas un groupe, d’ailleurs c’est une entité qui désormais n’a plus la moindre existence. Ce projet n’aurait jamais pu voir le jour sans ma présence manifeste, or, en dépit de mon statut contractuel de parolier et de compositeur des mélodies vocales, j’ai été le seul à ne toucher strictement aucune avance sur royalties, pas la moindre demi-roupie balinaise, et ce avec l’accord plein et entier de David Roger Noël « Kersan ». Celui-ci n’y joue qu’un rôle d’interprète et je me désolidarise totalement du projet depuis 2009, en raison de son approche vocale que je considère contraire à mon projet initial. En gros, du Plastic Bertrand mixé avec Pascal Obispo n’atteint pas, dans mon esprit comme à mes oreilles, Lou Reed, Johnny Cash ou Nick Cave. La vie est terriblement injuste.
Quelles conclusions êtes-vous en mesure de tirer de toute cette expérience ? David Kersan s'est tout de même fait connaître comme votre agent durant sept années consécutives...
Étrangement, le roman, je le dis après coup bien sûr puisque je suis son instrument et non l’inverse, semble une métaphore de la vulgarité déployée par David Roger Noël « Kersan » et ses larbins à l’encontre d’un homme seul, lourdement infirme de surcroît, vulgarité bassement vénale, vulgarité du look ayant prédominance sur le contenu, vulgarité de la manipulation psychologique classique, vulgarité de la pseudo-culture postmoderne, vulgarité indicible du « Crime contre l’Esprit ». Ring est la seule maison d’édition que je connaisse où, entre une table de verre Ikéa de semi-luxe petit bourgeois, un grand divan blanc à 5 000 euros, un écran ACL géant, ses fameuses caméras à 21 millions de pixels (concurrençant les optiques de la Nasa, attention hein !), on ne trouve nulle trace de la moindre bibliothèque digne de ce nom, pas même deux étagères où Kersan pourrait vaguement classer ses biographies de boxeurs et ses documents sur les faits divers sordides.
Que se passera-t-il si jamais vous n'obteniez pas gain de cause ?
Il faut bien que David Roger Noël « Kersan » et son principal complice soient convaincus de la chose suivante : je suis prêt à sacrifier en gambit mon meilleur roman écrit à ce jour pour préserver ma dignité et ma liberté d’écrivain. Cela signifie que j’entends me désolidariser publiquement de la parution de mon propre ouvrage. Je sépare en effet radicalement le littéraire du judiciaire, et je ne parle pas du « médical/psychiatrique ». Sur tous les plans : la couverture, que je trouve pour ma part hideuse, et ne correspondant en rien au contenu du roman — où sont les jumelles Zorn et la planète Mars ? Le « Directeur Général des éditions Ring » m’ayant forcé à l’accepter comme la « meilleure jamais réalisée » parce qu’exécutée par une « star de l’illustration » et qu’elle obéissait à une « Règle-Monde » (!!!), le « contrôle qualité » opéré par ses hommes de (seconde) main, sauf que je suis parvenu à repasser derrière un certain nombre de leurs « corrections » à la dernière minute et à leur faire croire durant les tous derniers mois — alors que mon processus de reprise de conscience s’affirmait de jour en jour — que je marchais dans la combine. Cela correspond, de janvier-février 2012 à juin de la même année, à leur embauche « officielle » comme « contrôleurs-qualité » selon les normes de DK, bref : jusqu’à ce que la coupe soit pleine et qu’en découvrant fortuitement, en juin, la non-existence de tout réel contrat, je prenne finalement la décision de porter l’affaire devant la justice au mois de juillet 2012… En effet, au delà même du délit pénal constitué par l’abus de faiblesse, « Kersan » m’a fait signer un contrat d’édition alors que sa compagnie n’existait pas (KBIS déposé un an plus tard !) et ne possédait pas le code NAF, condition sine qua non pour être habilité à être éditeur. Je passe sur les multiples vices de formes du « contrat de commande d’ouvrage ». Mais attention, hein, ce « contrat » a été copié-collé sur un papier de grand luxe et broché à grands frais, avec, entre autres, les 34 000 dollars que j’avais payé à l’origine pour la confection de ma propre plateforme. Enfin, j’expliciterai aux médias les détails sordides de ses diverses manipulations. Dont celles que nous découvrons depuis peu. Bref, que je vais les — lui et ses acolytes — faire entrer dans l’histoire littéraire.
Vous venez pourtant en septembre assurer la promotion de votre roman, comment expliquer cela ?
D’une part, comme je vous l’ai indiqué, je sépare le littéraire du judiciaire, j’ai écrit ce roman dans un état post-opératoire assez indicible, quoique désormais connu, et ce roman est en effet le meilleur que j’aie jamais produit, comme quoi, pour certains hommes, les épreuves et le contact avec la mort revêtent un sens. D’autre part, cela fait partie des conditions préalables à toute recherche d’un accord négocié exigées par la partie adverse, je me fais fort de toutes les respecter, ce qui n’est toujours pas le cas de David Roger Noël Kersan dit « Serra » — pardonnez-moi, c’est l’inverse — qui, par exemple, s’obstine à utiliser un Facebook factice à mon nom, en y usurpant mon identité depuis des mois et en y diffusant désormais de la promotion pour les autres auteurs de sa maison d’édition. Il faut bien que les gens sachent qu’aucun des messages signés Maurice G. Dantec sur ce Facebook, et ce dès son origine, ne sont de moi. Cela fait partie des multiples choses que j’ai « volontairement accepté », entre deux shoots de morphine ou deux anesthésies générales.
Dernière minute :
Nous apprenons à 23h, ce 1er septembre, que David Kersan vient d’annuler unilatéralement la réservation Corsair des billets d’avion permettant à Maurice G. Dantec de venir effectuer, comme convenu depuis des mois et comme exigé par David Kersan lui-même, la tournée de promotion du roman Satellite Sisters en France durant le mois de septembre. Il a prétexté une « bipolarité sans traitement » alors que, précisément, l’arrêt des antidépresseurs par Maurice G. Dantec se fait sous strict contrôle médical. De fait, il annule ainsi les séances de signatures auprès de cinq librairies de province qui attendaient l’auteur depuis des mois, ainsi que l’événement prévu à la mi-septembre au Virgin Megastore de Paris, sans compter les entrevues programmées avec les médias. Affaire à suivre…
« Maurice G. Dantec. Le retour du mercenaire »
Propos recueillis par Romaric Sangars, Chronic'art, n° 78, septembre-octobre 2012, p. 62-64.
Après deux ans de silence, la star du cyber-polar métaphysique revient en cette rentrée avec la suite de Babylon Babies : Satellite Sisters. Plus synthétique, saturé et radical que jamais, ce roman hybride prophétise la sortie de l'ère terrestre pour l'Humanité. Mise au point avec celui qui est sorti depuis bien longtemps de l'ère germanopratine...
Une entrée fulgurante dans le monde du polar SF au milieu des années 1990, un polar mâtiné de SF et de philosophie, un journal « métaphysique et polémique » qui fit l'effet d'une bombe à Saint-Germain-des-Prés, une « affaire » d'échanges avec le « Bloc identitaire » qui le transforme en bad boy aux yeux médias, un transfert à sensations de Gallimard à Albin Michel, un navet (pour changer...) de Kassovitz d'après Babylon Babies et un long exil dans le silence au Québec... On commençait décidément à croire que Dantec, depuis sa thébaïde montréalaise, était décidé à laisser l'Europe crever toute seule et à se faire discret. Ses derniers pavés hybrides et survoltés, Artefact ou Metacortex, n'ont d'ailleurs pas généré le même engouement que les précédents. Fin de l'épopée ? Non : la suie très attendue de Babylon Babies paraît cette rentrée chez RING, une nouvelle maison fondée par son ancien agent littéraire David Kersan, avec la complicité du vieux routier Raphaël Sorin. Grâce à cette position d'autonomie, Dantec peut lancer sur le marché ce western galactique intégralement structuré sur une ligne de fuite vers l'infini, et placer ce retour sous le signe des déflagrations totales. Entretien.
Pourquoi Ring ? La contre-culture Internet vous paraît-elle aujourd'hui suffisamment crédible pour rivaliser avec les formes institutionnelles ?
Je ne crois pas au terme « contre-culture » en ce qui concerne Internet, où l'on retrouve toutes les formes de déviations/perversions idéologiques et/ou morales/spirituelles de notre époque, peut-être même sous une forme particulièrement concentrée, sans parler de l'ignorance altimétrique de la plupart des « blogueurs ». Comme pour tout ce qui ressort de l'humanité, Internet est un troupeau d'où jaillissent, parfois, quelques « mavericks ».
Avec vos journaux et vos interventions publiques, vous avez fait entendre une voix pour le moins subversive. Mais depuis quelques années, vous semblez vous recentrer sur votre travail de romancier. Avez-vous décidé de vous retirer du débat ? Y aura-t-il une suite au Journal ?
Une suite à mon Journal ? Pourquoi faire ? Tout y est dit, des années à l'avance. Je remarque d'ailleurs que personne n'a commenté les textes scientifiques qui y étaient adjoints, comme ceux sur la Matière/Énergie sombre, les mésaventures sexo-financières d'un Strauss-Kahn semblant de loin une préoccupation plus majeure pour les journalistes du sérail. Or, désormais, et à jamais, en ce qui me concerne, la seule dimension politique digne d'intérêt –Politika : ce qui concerne la Cité – se situe dans le Génie Génétique, la Conquête Spatiale privée, les nanotechnologies, la cosmogonie, la physique nucléaire, la biochimie, bref, ce qui change l'Homme en poursuivant le « programme évolutionniste ». Je ne crois pas que Mélenchon, Bayrou, Marine Le Pen ou Nicolas Sarkozy aient quelque chose à y voir.
Vous décrivez le monde qui vient comme « globalitaire ». Vos procédés littéraires d'hybridation perpétuelle, de synthèse disjonctive, la forme virale, sont-ils des méthodes de résistance au programme politique ?
Il n'y a précisément plus de « politique » dans le monde globalitaire que je décris. Elle a été remplacée par ce Reichstag des Nations icronisées/ethnicisées/éthicisées puis regroupées en une Assemblée aux ordres d'une bureaucratie. Je me permets de rappeler à ce titre que le projet Onusien fut à l'origine l'oeuvre de chercheurs nazis qui, vers 1942-43, s'interrogeaient sur la façon dont le Reich « victorieux » pourrait gérer les affaires du Monde qu'il aurait conquis, sous le nom que je viens de vous citer. La « Réversibilité historique », et fondamentalement paradoxale, en a fait un programme d'après-guerre organisé par les Alliés.
La planète est-elle définitivement condamnée ? N'y a-t-il pas d'autre issue pour l'homme qu'une destinée extraterrestre ? Hors cela, qu'adviendrait-il ?
Rien, précisément. Le NIHL. Racine du mot « nihilisme », une écolo-dépopulation cool, un « désert qui sans cesse croit », pour reprendre Nietzsche, mais « éthique et humanitaire », hein ? Attention.
Pourquoi avoir intégré des éléments du réel dans cette fiction prospective ?
Dans ce roman, le Réel est intégré de façon active à la Fiction. En décrivant le « Las Vegas orbital » je ne fais que transposer dans 20 ans les projets actuels de Richard Branson, Elon Musk ou Franklin Chang-Diaz en matière de conquête spatiale privée. C'est la raison pour laquelle ces trois hommes jouent un rôle central dans le récit. Les Jumelles Zorn elles-mêmes, devenues adolescentes, se singularisent, deviennent autonomes d'une « destinée génétique » qui semblait tracée d'avance. Le roman en son entier est élaboré sur cette notion d'Évolution en Acte, ou c'est parce que Dieu nous a fait à son image, donc être LIBRE que l'Humain en est à ses débuts et qu'il n'est pas fait, comme disait l'astronauticien russe Tsiolkovksy, pour rester toute sa vie au berceau.
De la shizo-analyse deleuzienne au junk A.D.N. en passant par la high tech et – surtout dans ce roman – la « mécanique » du vivant, pour viser la métaphysique in fine, la littérature n'est-elle pas pour vous le lieu de la synthèse des sciences diverses, une synthèse la plus exhaustive possible ? Satellite Sisters est chapitré d'Alpha à Omega en passant par des chiffres épelés en diverses langues...
Oui, du point d'origine au point de re-génèse (et non pas « final »), et les principales langues représentées à l'Onu, avant l'imposition, cool, d'un esperanto façon Michel Onfray. À moins qu'on ne revienne au cunéiforme.
L'art militaire comme les engins et méthodes de destruction ont une part importante dans vos romans. Êtes-vous un créateur héraclitéen, pour qui le combat est le père de toute chose ?
Je répondrais en citant l'Iliade, l'Odyssée et la Bible, les TROIS livres fondateurs de notre Civilisation.
« Maurice G. Dantec : "Satellite Sisters est mon premier vrai thriller de science-fiction" »
Propos recueillis par Antoine Oury, ActuaLitté, 14 mai 2012.
À quelques mois de la parution de Satellite Sisters aux éditions Ring, suite de Babylon Babies, nous avons rencontré Maurice G. Dantec pour évoquer son retour en librairie, son exil outre-Atlantique, ses inspirations et sa petite musique personnelle.
Le 23 août 2012 paraît aux éditions Ring votre très attendu nouveau roman. Que pouvez-vous nous dire sur Satellite Sisters ?
D'une certaine manière, ce roman est une reprise de la saga publiée aux éditions Gallimard puisque j'y poursuis l'évocation de l'existence des personnages principaux de La Sirène rouge et des Racines du mal (Toorop, Darquandier, Alice Kristensen, Andreas Schaltzmann, Mair Zorn, Joe Jane, Boris Dantzik...) en intégrant des personnages réels tels Richard Branson, Elon Musk ou le groupe Muse... Le roman démarre 15 ans après la naissance des jumelles Zorn, sur laquelle s'achevait Babylon Babies, au moment où la conquête spatiale est en train de devenir le nouveau Far-West. Ce ne sont plus les institutions étatiques qui mènent la danse, mais des groupes privés qui, à l'instar de Richard Branson avec Virgin Galactic, mettent en place ce que j'appelle le « Las Vegas orbital », en partant d'ailleurs du Las Vegas terrestre, au Nevada.
Les deux jumelles, cette fois âgées de 16 ans, incarnent la prochaine étape évolutionniste, mais cette prochaine étape évolutionniste pour l'humain, c'est l'humain, puisque, comme le fait remarquer un personnage du livre, c'est nous qui ne sommes pas parvenus à être humains. Satellite Sisters peut donc être considéré comme une suite, mais il peut se lire comme un épisode autonome, indépendant des romans précédents.
Babylon Babies apparaissait pour vous comme une « transition » : Satellite Sisters constitue une rupture avec vos œuvres précédentes ?
Tous mes romans sont des transitions. Chacun d'entre eux est la « destruction créatrice » du précédent, et peut-être même d'ailleurs d'un titre encore antérieur, voire d'un successeur. Il n'y a pas vraiment de linéarité, ni de circularité dans ma production... Elle est « non-linéaire », comme on dit de certains phénomènes physiques. Satellite Sisters, c'est la destruction créatrice de Babylon Babies, mais aussi de La Sirène rouge, puisque Alice Kristensen, avait douze ans en 1993. Dans Satellite Sisters, nous sommes en 2030, c'est une femme d'âge mûr. Toorop est un homme d'un certain âge, il a pratiquement 70 ans. D'une certaine manière, on pourrait dire que ce roman est un opus synthétique de plusieurs romans antérieurs, et peut-être de certains aspects de romans postérieurs : c'est mon premier vrai thriller de science-fiction, démarrant sur Terre et décollant au-delà des frontières terrestres. J'utilise des personnages réels, comme Branson et d'autres, qui sont partie prenante de la seule vraie politique qui existe à mon sens aujourd'hui, c'est-à-dire l'esprit des pionniers appliqué à la haute frontière, celle où l'horizon devient vertical.
La conquête de l'espace reprend donc, dans Satellite Sisters, certains aspects politiques et économiques de notre société contemporaine ?
En pire. Le roman a un « background » politique, dans le sens où l'ennemi déclaré de tous les personnages, qu'ils soient fictifs ou réels, est l'Organisation des Nations Unies II, qui vise à mettre sous contrôle l'historicité des nations, la singularité des cultures et des individus, au sein de ce que j'appelle la « Gouvernance globalitaire » dans le roman. Celle-ci voit d'un très mauvais œil le fait que les individus se servent de leur fortune ou de leur talent, ou des deux, pour aller plus loin. Elle préfère de loin une planète écologique, homéostatique, qui resterait tranquillement à sa place tout en se micronisant. Par exemple, cette soi-disant nouvelle nation apparue d'un coup de baguette magique, le Kosovo, crée en profitant d'une grave erreur politique des Serbes qui ont déclenché la guerre en ex-Yougoslavie, pour leur arracher le cœur. C'est précisément ce qui se passe dans les Balkans, en Asie du Sud-Est, ce qui se passera au Moyen-Orient, en Afrique, demain en Amérique latine et en Europe occidentale.
L'ONU est la politique-monde : je ne pointe pas spécifiquement une ethnie, une nation, une culture ou une idéologie politique. La seule idéologie politique qui fonctionne aujourd'hui, c'est une non-idéologie et une non-politique, remplacée par une méthode de gestion mondiale du capital humain qui tend à supprimer cultures, nations et géographies. Et surtout, qui tend à s'opposer à toutes les démarches obliques ou déviantes qui sont pourtant des facteurs d'historicité depuis que l'homo sapiens existe.
L'ONU est en fait une énorme machine régressive, qui veut, comme le dit Peter Sloterdijk, transformer l'humanité en un parc humain.
Un parc ou un marché ?
Le marché fait partie de l'équation. L'attitude anticapitaliste, que l'on retrouve bizarrement dans les élections remportées par Monsieur Hollande, est complètement factice. Tout le monde sait que Monsieur Hollande devra se plier aux désirs de Wall Street, parce que c'est celui qui a le bâton qui dirige.
L'ONU a tout intérêt à décapitaliser la planète, à en faire une grande société post-hippie, malgré tout surveillée par un Big Brother fort amical, convivial même, qui sortira quand même la matraque si cela s'avère nécessaire. L'idée est de pacifier l'humain, alors que l'homme est un prédateur depuis ses origines : sans l'instinct de survie du primate originel, nous ne serions pas là.
Ce qui est « amusant » d'ailleurs, et ce que peu de gens connaissent, c'est que le projet de l'ONU, mis en place après guerre par les Alliés, a été conçu par un groupe de chercheurs nazis, qui avaient imaginé un grand Reichstag des Nations. Celui-ci aurait été constitué par des micro-nations vidées de leur historicité et de leur géographie et contrôlées par une bureaucratie nazie. Le projet est tombé à l'eau avec la contre-attaque des Russes, mais l'idée fut reprise par les vainqueurs pour fabriquer le monde de l'après-guerre, dans lequel il y a eu plus de conflits et plus de morts que dans la 1ère moitié du XXème siècle. Les seules décisions émanant des États, aujourd'hui, sont celles qui vont dans le sens de cette bureaucratie. Il ne faut quand même pas oublier que l'ONU a été dirigée pendant 15 ans par un ancien SS, Kurt Waldheim, responsable de la déportation de 300.000 juifs de Salonique.
Et les auteurs ont toujours un impact sur la vie politique ?
Il faut s'entendre sur l'expression « vie politique ». S'il s'agit de ce à quoi nous avons assisté depuis plusieurs semaines, c'est le Cirque Pinder pour moi. La vie politique, c'est précisément ces hommes et ces femmes, qui, contre toutes attentes, fabriquent l'Histoire en prenant des voies obliques, des voies déviantes. Nous entrons dans le XXIème siècle, qui sera bien plus différent du XXème, que celui-ci ne l'a été du XIXème.
Dans Le Théâtre des opérations, en 1999, vous écrivez « Naître et ne pas être, telle est notre condition. » Le XXème siècle fut celui de l'existentialisme, le XXIème sera celui de l'inexistentialisme ?
Cela fait partie du programme subliminal des grandes institutions mondiales que de nous précipiter vers la non-existence politique, encore une fois. Nous sommes face à une tentative métahistorique de remettre en question l'homo politicus, tel qu'il a été conçu au moins depuis Sumer. On peut même remonter au-delà, jusqu'à l'homo sapiens, sapiens faber. L'entreprise est terriblement dangereuse, mais dotée de l'intelligence démoniaque de prétendre œuvrer pour le bien de l'humanité. Le nazisme annonçait la couleur, là nous sommes face à quelque chose où tout est relatif : le Kosovo est équivalent aux États-Unis, la Somalie du Sud sera équivalente à la Russie, etc... Même la France pourrait, à terme, être divisée en plusieurs grandes régions, avec une gouvernance économique. La politique est là-dedans, mais il faut la chercher : elle est dans les conseils d'administration de l'ONU.
« Maurice G. Dantec. Entretien »
Propos recueillis par Jacques de Guillebon, L'Homme a-t-il besoin du Christ ?, Versailles, Via Romana, 2011, p. 67-74.
Vous revenez de loin. Vous êtes un écrivain qui vient de loin, pour le style – ce style emporté, destructeur et amoureux du même mouvement, qui vous caractérise – et pour la pensée. Vous êtes aussi « un homme qui s'éloigne », comme un titre de François Taillandier : vous êtes parti habiter sous d'autres cieux, Montréal, au Québec, il y a quelques années de cela. Et vous êtes parti habiter d'autres cieux depuis quelques mois : vous avez été baptisé dans la foi catholique. Nous donnerez-vous quelques lumières pour commencer d'éclairer ce chemin inattendu qui d'un fils de banlieue rouge a fait un enfant de Dieu ?
Comment expliquer cela en restant concis, et précis... sans paraître pédant, ou faussement humble ? D'abord, vous admettrez comme moi que ce qui est de l'ordre de la Foi appartient à celui du Mystère... aussi tenter de rationaliser ce qui en fait s'est déroulé en quarante années d'existence...
Sur le plan de l'exil, si je m'éloigne de la France, c'est aussi pour mieux y revenir, par la foi catholique, si je m'éloigne de la fausse Europe, cet Eurabistan désormais politiquement lié aux potentats arabo-islamiques et aux réseaux terroristes, c'est pour mieux y revenir, via le monde slave et russophone. Avant de me convertir au rite romain, j'ai été longtemps tenté par une conversion à l'orthodoxie.
Dans le prochain Théâtre des opérations, pour l'heure en correction, j'essaie d'illustrer le processus, avec mon attirance momentanée pour l'islam mystique soufi, due probablement à mon engagement du côté des Croates puis des Bosniaques lors de l'explosion de l'ex-Yougoslavie. J'essaie d'expliquer comment cette attirance fut soufflée net à la vue des légionnaires des milices arabes et afghanes, en Bosnie occidentale.
J'essaie d'expliquer comment vingt ans de lectures théologiques, puis le développement de la IVe guerre mondiale en cours, à partir d'un renversement inouï des prodromes de la IIIe (la « guerre froide »), auront conduit à l'inévitable, choisir l'Église des Martyrs, de Nicée, de Constantin, et des Croisades... qui est aussi celle de saint Thomas d'Aquin, de saint Augustin, de saint Bonaventure, de Duns Scot...
Pour vous, tout commence en politique et tout s'achève en mystique ?
Non, c'est plutôt « entrelacé », la Jérusalem céleste et la Jérusalem terrestre ne sont pas des entités dialectiquement opposées, mais des co-principes synthétiquement disjoints.
Est-ce que vous pouvez expliquer plus clairement les « co-principes synthétiquement disjoints » ?
Imaginez une métaphore de l'Unité divine en trois personnes. Entre la Jérusalem céleste et la Jérusalem terrestre, il y a, il me semble, une relation analogue, avec le Saint-Esprit en troisième terme.
Pourquoi avez-vous choisi finalement le catholicisme plutôt que l'orthodoxie ?
Je ne crois pas vraiment que ce soit « vous » qui « choisissiez », il y a conversion, ou non. C'est – vous le savez bien – inexplicable selon des normes rationnelles. Disons que la lecture de saint Thomas d'Aquin, du Pseudo-Denys, d'Origène, et de quelques autres, saint Bonaventure, Duns Scot... y aura été sans doute pour quelque chose.
Qu'entendez-vous par « revenir par le monde slave et russo-phone » ?
Très bien : faisons un petit flash-back vers les années soixante. De mes parents communistes, j'ai reçu en héritage une fascination pour le monde russe, moins à cause de l'idéologie que mes géniteurs embrassaient alors que par les photographies et les objets, livres, instruments de musique, etc., que mon père me ramenait régulièrement de là-bas. Sa rencontre avec le cosmonaute Youri Gagarin, un an je crois après son vol orbital de 1961, scella définitivement l'attrait que j'ai toujours pour cette autre civilisation de pionniers.
N'y a-t-il pas une fascination pour une certaine « volonté de puissance » dans votre amour des « pionniers », comme les Russes ou les Américains ?
Volonté de puissance ? Christophe Colomb était-il animé par la volonté de puissance ? Après tout, peut-être bien, en tout cas affirmation de sa souveraineté, de son espace-temps singulier, dans tous les sens du terme, victoire définitive de l'Ouest et de l'Est contre la vieille Europe nazie puis postnazifiée... Youri Gagarine, Neil Armstrong, on ne peut rien retenir du XXe siècle sans ces deux noms. Celui du premier astronaute allemand déjà ?
Peut-on continuer de penser le monde aujourd'hui sans le christianisme ?
Regardez donc où en est le monde, aujourd'hui, depuis qu'il n'est plus pensé par le christianisme...
Votre fidélité à l'Occident tel qu'il a changé n'est-elle pas contradictoire avec votre foi nouvelle ?
Il y a deux Occidents, depuis les Lumières : l'Occident progressiste, mondialiste ou altermondialiste, cela revient au même, socialiste, rationaliste, démocratique-totalitaire, et puis il y a l'Occident chrétien, celui des vraies souverainetés nées de notre génie civilisationnel bimillénaire, celui de l'Amérique, de la Russie, des îles Britanniques, du monde slave (et d'Israël)..., celui de la chrétienté tri-unitaire (catholiques, protestants, orthodoxes, et les juifs) en lutte contre l'antéchrist coranique. Qu'on le veuille ou non, et ni Chirac, ni Barnier, ni Borloz n'y pourront rien, le Grand Jihad a commencé le 11 septembre 2001, il durera sans doute pendant tout le siècle qui vient de s'ouvrir.
La guerre n'est-elle pas aussi celle de tous les croyants, de tous les monothéismes, islam inclus, contre la machine de mort du monde (post)moderne ?
L'islam n'est pas un monothéisme, c'est son usurpation nihiliste, sous la forme d'une hérésie judéo-chrétienne à tendance gnostique, et pleine du paganisme néolithique de ces adorateurs de la lune et des pierres noires d'origine météorique. Mahomet en a fait sa sauce syncrétique, selon moi cette religion est plus éloignée des religions du Livre qu'un culte védique ou chamanique.
Comme je le dis dans Le Théâtre des opérations, III, je préfère un monde avec des Kylie Minogue qu'un monde avec des femmes bâchées de la tête aux pieds. O.K. ?
Parce que les Kylie Minogue sont plus proches du christianisme, sans doute ?
J'ai peur de ne pas saisir le sens de votre question. Je parle des femmes, et de leur droit à être belles sans être pourchassées par une muttawa quelconque, ou par les violeurs en série des « cités » de la « république », suis-je plus clair ?
Il me semble que les violeurs en série – qui sont présents partout et pas que dans les « cités » – se multiplient aussi au rythme des Kylie Minogue et de tout l'arrière-plan « érotique », pour ne pas dire pornographique, qui va avec elles, qu'elles justifient par avance. Vous ne croyez pas ?
Non. Je ne crois pas en ces balivernes « sociologiques ». Je ne crois pas que l'Occident doive ressembler à l'Arabie Saoudite sous prétexte de l'érotisation de notre culture, processus à l'œuvre depuis ses origines grecques, y compris durant la période chrétienne : nous inventons l'amour courtois alors que l'islam fixe les règles inflexibles de la charia. D'autre part, vous faites une confusion entre « Éros » et « Thanatos » en assimilant le premier à la pornographie. La pornographie, c'est la RÉALITÉ, soit l'obscénité, l'ABOMINABLE, c'est-à-dire les fameuses « tournantes », ou les tueurs d'enfants, c'est cela qui a pris « corps » dans la « cité » délétère de la République Finale.
Jusqu'où l'écrivain catholique – ou le catholique écrivain – peut-il collaborer avec le monde et ses princes ?
Tant qu'on me laisse écrire ce que je veux, je considère pouvoir continuer sans avoir à me prostituer.
Plus précisément, la voix, la parole du chrétien, aujourd'hui plus que jamais, n'est-elle celle qui doit révéler une autre anthropologie : rappeler la vérité et la présence de l'âme humaine qui s'oppose à la vision d'un être purement rationnel et technique que l'on nous propose ?
C'est ce que j'essaie humblement de faire dans le roman que je suis en train de terminer. Mais encore une fois, les oppositions dialectiques que vous proposez ne me semblent plus avoir cours, le surpassement de la Technique ne se trouve pas dans les idéaux d'un quelconque retour au passé, ou une sorte de conception néo-personnaliste de l'âme humaine, mais dans la perspective d'un futur méta-technique, qui aura su intégrer celle-ci dans un effort de transfiguration générale de l'être.
Imaginez-vous cette transfiguration ?
Je la pressens comme une forme de « catastrophe » ontologique. Quelque chose qui tiendrait à la fois du Super-Travailleur d'Ernst Jünger, et de la spirale « ekstatique » de Heidegger et d'Abellio. Quelque chose qui fasse que l'humain soit en mesure d'accepter le risque de la conscience.
Qu'entendez-vous par conscience ici ?
J'aurais dû dire l'être, sans doute.
La France contemporaine semble prisonnière de ses contradictions internes dans son rapport à tout ce qui est religieux. Et si c'est, malheureusement, par le biais de l'islam que la question de la « laïcité », de la distinction ou de la séparation des pouvoirs temporel et spirituel reviennent sur le devant de la scène, n'y a-t-il pas une urgence pour les chrétiens à repenser cette laïcité ?
Rappelons d'abord que c'est l'Église de Rome qui la première a su séparer les principes du temporel et du spirituel, mais cela ne consistait pas à DISJOINDRE l'Église et l'État, puisqu'en ce temps-là la notion moderne d'État n'existait pas. Il y avait un Empire chrétien, État militaire, religieux et agricole.
Il y a, vous le savez, en ce moment, une offensive en règle des divers gauchistes américains pour l'abrogation du Pledge of Allegiance du président américain à la Bible. On est parvenu à interdire les prières à l'école, désormais c'est le serment au drapeau qui est menacé, puis bientôt l'hymne national lui-même qui sera attaqué. Au Canada, la charia sera appliquée sous peu – « pour les musulmans ! » – en Ontario et un lobby arabo-islamique veut nous faire changer les paroles de l'hymne canadien, à cause des références « chrétiennes ».
Le laïcardisme aura été le meilleur terreau pour la poussée islamiste. Un bon régime athée et démocratotalitaire, c'est la voie royale pour les tenants du Dar-al-Islam, dans lequel il n'y a plus ni Église, ni État, mais l'hybris dogmatique des deux.
Quelle peut être la forme politique d'une France ou d'une Europe chrétienne – sachant que la démocratie occidentale s'est fondée sur l'antichristianisme ?
Une France fédérative non jacobine aurait pu montrer la voie à une authentique Union fédérale européenne. Nous avons préféré faire Zéropa-Land, acier-charbon-Airbus, nous avons choisi l'Eurabistan plutôt qu'une refondation politico-culturelle qui aurait embrassé le monde slave, autour d'une constitution chrétienne, nous nous sommes coupés de notre propre passé, et de notre avenir, en trahissant les États-Unis et l'Alliance. Nous sommes seuls, avec nos amis Algériens, Syriens, Iraniens et Turcs. Bienvenue dans l'Europe des shimmys.
La forme future de l'Europe doit être imaginée comme le résultat de la prochaine guerre civile qui s'y déroulera.
« Maurice G. Dantec : rock & roll et métaphysique »
Propos recueillis par Felix de Montety, Snatch Magazine, n° 1, mars-avril 2010, p. 82-84.
On constate que la distinction entre roman noir/sf/fantastique à la Borges ou Poe est de plus en plus ténue au fur et à mesure de votre œuvre : y a t-il eu un moment précis où vous avez eu envie de mêler cela, pensez-vous que cela est inconscient ou bien cela a t-il été présent à votre esprit depuis le début ?
Roman noir, fantastique, science-fiction partagent des origines communes, comme Poe, que vous citez, ou Lovecraft. Il n’y a pas de prédétermination dans l’écriture de mes romans, je ne cesse de le répéter : c’est le roman qui commande. Il est un « second cerveau », justement.
Quel sens cherchiez-vous à donner à la fin du roman, lorsque Paul Verlande accède au Métacortex ?
Je ne cherche pas à « donner un sens » à mes romans, ce sont eux qui le donnent. Je pense qu’il s’agit de l’émergence d’un contre-pôle singulier face à la Seconde Chute, une re-création « génétique » du monde pour faire pièce à la dé-création finale de l’Homme.
Que cherchez-vous à dire en dépeignant un tel chaos migratoire ?
Encore une fois, je ne fais pas dans la littérature d’expression du « moâ », même prétendument « autofictionnel ». Je n’ai rien à DIRE, j’écris des romans. Je fabrique des mondes à partir des lambeaux de celui-ci. Chaos migratoire ? Piraterie maritime généralisée ? Échouages géants de réfugiés ou de migrants économiques ? Je dois souffrir d’hallucinations-de-droite, il ne se passe rien au large de la Somalie ni sur les côtes italiennes ou espagnoles.
R, I, E, N.
Pouvez-vous nous rappeler vos influences principales, en littérature ou ailleurs ? (la liste que dresse Willie dans Dieu porte-t-il des lunettes noires ? est-elle la vôtre ?
(question trop vaste, désolé, je devrais citer 50 auteurs et autant de groupes de rock).
À quoi devez-vous d’avoir commencé à écrire ?
Le chômage, la Guerre du Golfe, le mitterandisme, le vide littéraire français. Et les romans qui demandaient à naître, et si possible à tuer.
Des livres comme Spinoza encule Hegel vous ont-ils inspiré ?
Non. Mais J.-B. Pouy, son auteur, a été d’une importance cruciale dans ma découverte de la littérature américaine contemporaine. Et Saint Thomas d’Aquin se fait les deux.
Pour vous, écrire est-il un besoin ou l’expression d’une volonté ? Envisagez-vous la littérature comme un combat ?
Aucun « besoin », et puis quoi encore ? C’est mon métier. Comme disait L.-F. Céline, j’écris pour payer mon loyer. Et s’il s’agit de l’expression d’une « volonté », je n’en suis que l’instrument.
Quant à la littérature comme « combat », je me permets de vous citer Kafka, qui savait de quoi il parlait : Dans la guerre entre toi et le monde, seconde le monde.
Votre processus de travail est-il bien défini, ritualisé ? Y a-t-il différentes phases d’écriture, de relecture, etc… ?
Il existe bien sûr des phases très différentes lors de l’écriture d’un roman, mais en ce qui me concerne il n’y a pas d’ordre pré-établi, encore moins de « rituel », encore une fois, c’est le roman qui, chaque fois, dicte ses instructions.
Comment concevez-vous votre rapport à vos lecteurs d’une part, qui vous sont très fidèles, (et auxquels vous répondez sur votre site, ce qui est suffisamment rare pour être noté), et au public en général, qui hésite entre fascination et incompréhension ?
Je ne « conçois » pas mon rapport avec mes lecteurs. Je ne sais pas qui ils sont, je ne m’intéresse pas au « lectorat » en termes de statistiques, mon unique objectif est de faire en sorte que mes fictions touchent des cerveaux singuliers, où qu’ils soient, et quel que soit leur nombre.
Le « public en général », je ne sais pas ce que c’est, une masse numérique, sondée par les petits boutiquiers des chiffres de vente, probablement. Je ne cherche pas à être compris de TOUS, loin de là. Les pigistes culturels de la blogosphère, par exemple, ne possèdent généralement pas le nombre minimal de neurones requis.
Vous sentez-vous marginal ou marginalisé (on connaît vos rapports houleux avec certains médias) ? Cette situation n’est-elle pas préférable pour vous en tant qu’écrivain « à part » ?
Vous voulez ma réponse « brut de décoffrage » ?
Rien à cirer des médias de la Raie Publique, et de leurs souffreteux domestiques.
Que signifient les lunettes noires, qui cachaient vos yeux sur les quatrièmes de couverture de vos livres publiés chez Gallimard en Série noire, qu’on retrouve dans le titre d’un recueil de vos nouvelles ? Un élément de mythologie rock ? Un goût pour le mystère, la mise en scène d’un personnage ? Rien du tout ?
Je porte des lunettes noires depuis mon adolescence, « mythologie rock’n’roll » ? Oui, mais vécue comme évidence, et affaire de goût.
On connaît votre goût pour les études médiévales, la scolastique, les rapports entre théologie, morale et politique notamment, est-ce purement un goût intellectuel ou également une affirmation d’une nostalgie pour une période injustement décriée, stigmatisée depuis la révolution française ?
Ce n’est pas un « goût intellectuel », mais l’expression de mes préoccupations les plus profondes. La Littérature est un écho du Verbe. Un écrivain qui ne lui sert pas de chambre d’écho est un fumiste. En France la liste est interminable.
La Révolution jacobine est le prototype de tous les nihilismes socialistes, qu’elle ait truqué l’histoire de l’Europe chrétienne, les marxistes-léninistes de tous acabits sauront s’en souvenir au XXe siècle. Mais le Mur du mensonge a finit par leur retomber sur la gueule.
Donc, aucune « nostalgie », la Contre-Révolution c’est le futur.
Avez-vous également une nostalgie pour un certain ordre social, « une certaine idée de la France » que vous retrouvez au Québec ?
Le Québec a depuis longtemps suivi la France, et l’a même devancée sur certains points, en ce qui concerne l’homogénéisation « multiculturaliste » et l’Étatisme jacobin. La seule différence c’est qu’il est situé en Amérique du Nord, où tout va beaucoup plus vite, la réaction est donc déjà d’actualité.
Vous évoquez l’Europe comme un continent englouti, mais l’Amérique du Nord ne va guère mieux… Ce qu’on prenait pour la hargne d’un expatrié n’est-il tout simplement pas un pessimisme général ?
L’Europe n’existe pas. L’Amérique continentale, oui. Deux pays, disons trois langues vernaculaires, dont le français, une réelle intégration militaire et économique, pas de bureaucratie supranationale mais deux États souverains, bref, je ne nie pas que les États-Unis traversent une période de crise mais, c’est étrange, jamais personne en France ne regarde la situation du Canada qui, je le rappelle, fait partie du G8 avec 30 millions d’habitants. Remarquez, les Français sont toujours persuadés que leur pays est une grande puissance, ils doivent continuer de penser que le Canada est un pays qui exporte avant tout de la fourrure de bébé phoque.
Votre œuvre est très profondément marquée par des interrogations sur la technologie, sur le rapport des hommes à la technique moderne (ou une technique de « science-fiction ») : est-ce une attirance ancienne ? Qu’imaginez-vous lorsque vous pensez à notre futur ?
Aussi ancienne que ma naissance, ou presque, mes plus anciens souvenirs d’images télévisées doivent remonter à 1962 ou 63 avec les atterrissages-crashes des sondes Ranger sur la Lune. Mon premier jouet fut une réplique miniature de Youri Gagarine que mon père ramena d’URSS après l’avoir interviewé à son retour de l’Espace.
Je pense que mes romans répondent à votre seconde question.
Selon vous, la technologie libère-t-elle ou asservit-elle ? Comment les hommes peuvent-ils rester eux-mêmes face à la domination de cette dernière ?
Les Hommes n’ont pas à « rester eux-mêmes ». Comme le disait Nietzsche, il doivent plutôt « devenir ce qu’ils sont ». Rester soi-même est à la portée du premier chou-rave venu, et encore, même les végétaux co-évoluent avec le Cosmos.
Dans le cas qui nous occupe, la technologie n’asservit que les esclaves, et elle est en mesure d’agrandir l’espace de liberté des hommes libres, mais puisque le monde est désormais dirigé par les esclaves, elle a pris la place du Cosmos et même de Son Créateur, telle une idole performative, qui devient la seule réalité envisageable, celle d’une Gouvernance Globale, agent de cette Technique-Monde, capable de gérer le « Parc Humain » – comme dirait Sloterdijk – dans toutes ses dimensions.
Vous avez déclaré que le rock représente pour vous une synthèse tout à fait acceptable des fonctions dionysiaque et apollinienne qu’évoquaient Plutarque et Nietzsche : pourquoi ? Pourquoi le rock remplit-il aujourd’hui cette fonction ? A-t-il pris la place de formes d’art sur le déclin ?
Nous sommes d’accord ? Je simplifie : Fonction apollinienne : Ordre, harmonie, équilibre, dynamique solaire ? Fonction dionysiaque : Chaos, excès, dérégulation, dynamique tellurique ?
Alors il est évident que toute authentique œuvre de rock’n’roll forme la synthèse « électrique » de ces deux pôles.
Non. Il est la forme d’art qui surgit de la mort de toutes les autres. Il est la musique de l’âge électro/nucléaire.
Pour vous qui êtes lecteur de Nietzsche, quelle place donnez-vous au divin dans votre oeuvre ?
Centrale. Et indicible.
Connaissez-vous le groupe britannique Hawkwind ? Le français Turzi ? Quels groupes vous semblent-ils le plus dignes d’intérêt ?
J’ai beaucoup écouté Hawkwind dans les années 70, je les ai vu en concert deux fois à cette époque. En revanche, désolé, mais je ne connais pas le groupe français dont vous me parlez. Je n’ai pas trop envie, ne m’en veuillez pas, de faire une liste de groupes « dignes d’intérêt », il y en aurait probablement quelques dizaines, et il faudrait remonter jusqu’au tournant des années 50/60. J’oserais dire qu’il suffit de lire mes romans pour s’en faire une idée.
Le rock est-il aussi récurrent dans vos romans comme le lieu paradoxal d’un certain messianisme ?
Paradoxal, vous avez dit le mot. Le rock porte tout le XXe siècle sur ses épaules, c’est pour cela qu’il surjoue la figure de l’Antéchrist, mais qu’il peut tout autant parler aux Anges. Un exemple ? La même chanson, Hurt, par Nine Inch Nails, puis par Johnny Cash.
NDLR :
Cette interview a été réalisée par e-mail, conformément aux souhaits de Maurice G. Dantec qui, d'une part, réside au Canada, et, d'autre part, souhaite voir ses propos rigoureusement et intégralement retranscrits. Cette position, que nous respectons tout à fait, n'est pas sans inconvénients, mais permet d'apprécier la précision et la rigueur des propos de l'écrivain dans leur exacte forme (orthographique et typographique, comme vous avez pu le constater plus haut).
« Entrevista com Maurice Dantec »
Propos recueillis par Juremir Machado da Silva, Correio do Povo, 11 janvier 2010.
Vous et Michel Houellebecq avez sécoué la littérature française pendant les années 1990. Houellebecq est parti vivre en Irlande et après en Espagne. Vous êtes parti au Canada. Vous vous considérez comme un écrivain « maudit » tel Rimbaud, un écrivain qui dérange et doit vivre isolé ? Pourquoi le Canada est-il plus vivable que la France ?
Non. Je ne me considère absolument pas comme « maudit ». Je crois plutôt être un privilégié. J’ai quitté la France parce que ce pays ne m’intéressait plus, qu’il se dirigeait droit dans le mur, et que je savais que mon destin se trouvait ailleurs. Je ne me suis jamais senti complètement Français, au demeurant, les origines celtiques maternelles probablement, ainsi que l’influence majeure de la Russie et des USA, très tôt dans mon enfance. Ce n’est pas parce que l’on vit au Canada que l’on est « isolé », même si par la configuration géographique du pays c’est un choix aisé. Pourquoi le Canada est-il plus vivable que la France ? Vivez un mois à Paris, puis un mois à Montréal, vous comprendrez.
Vos livres se vendent comme des petits pains et ils sont adaptés au cinéma. Vous êtes célebre et en même temps une sorte d'écrivain marginal. Les Racines du mal dresse un sombre tableau du monde contemporain. Vous vous considérez comme un écrivain « engagé » qui doit dénoncer les misères du monde par la fiction ou vous voulez juste raconter des histoires ?
Des petits pains ! Comme vous y allez ! Je ne suis ni Marc Levy, ni Michel Houellebecq, ni Frédéric Beigbeder, ni Bernard Werber. Je vends plutôt comme une bonne vieille manufacture d’armes. Mes modèles les plus anciens continuent de se commercialiser de par le monde, à un rythme raisonnable, les nouveaux ne sont pas des « best-sellers » immédiats mais s’inscrivent dans la poursuite de ce mouvement à long terme.
Deux de mes romans ont été adaptés, certes, mais vu ce que le cinéma français en fait, je préférerais autant qu’il s’abstienne. Je suis « célèbre », si vous voulez. Disons que je suis connu d’un certain nombre de personnes, dont mes lecteurs. Et mes ennemis.
Marginal ? Étiquette aujourd’hui revendiquée par tout le monde, la marge est devenue le centre. Qui n’est pas un rebelle, un « radical », qui ne porte pas de t-shirt Che Guevara ou Free Tibet, tout en restant à lire son journal « alternatif » dans son salon Ikea ?
Je ne crois pas en la posture de l’écrivain « engagé », je ne suis ni Simone Sartre ni Jean-Paul de Beauvoir. Les « misères » du monde ne m’intéressent que fort peu en elles-mêmes. Et encore moins les prétendues « solutions » qu’on nous propose pour les faire disparaître. La guerre, la violence, la haine, le crime, etc, sont des constantes de l’humanité, depuis la Chute. Elles forment l’arrière-plan « naturel » de tous mes récits.
Vous vous présentez comme un écrivain français d'âme américaine. En quoi la littérature française vous déplaît ?
J’ai dit que j’étais « un écrivain nord-américain de langue française », mais votre propre redéfinition ne me déplaît pas. Cela n’a rien à voir avec la littérature française, par ailleurs, que j’admire jusqu’à une certaine époque, c’est-à-dire durant le temps de son existence. Une littérature ne renaît pas par magie des décombres. Une littérature ne peut pas émerger d’un pays qui a effacé sa propre histoire.
Vous êtes un écrivain polémique parfois associé à la droite, voire l'extrême-droite. Dans Les Racines du mal, pourtant, on ne sent pas une posture idéologique affirmée. Vous séparez vos idées de votre fiction ?
En France, si vous défendez le peuple juif vous êtes un nazi, si vous défendez la singularité de la civilisation européenne vous êtes un suprématiste, si vous défendez le christianisme vous êtes un fasciste, si vous défendez l'Amérique vous êtes un impérialiste.
En revanche, vous avez parfaitement le droit, et mieux la « légitimité », d’être antisémite, pro-islamiste, communiste, trotskiste, anarchiste, écolomystique, et toutes ces merveilleuses idéologies qui vont nous faire un monde meilleur.
Je n’ai rien à séparer. La littérature, c’est la seule politika digne de ce nom.
Vous êtes un grand lecteur de Gilles Deleuze et cela se sent dans vos livres, particulièrement dans Les Racines du mal. Dans ce sens-là vous n'êtes pas un écrivain bien français ?
Gilles Deleuze est un philosophe. C’est sa seule « nationalité » (natio, « famille » en latin) : la pensée.
Fréquemment on dit que la littérature française est morte ou qu'elle est ennuyeuse à faire pleurer. Les Racines du mal pourtant est extraordinaire et bourrée d'action comme dans tout bon polar (et c'est un polar différent). Est-ce que la vraie littérature capable de faire penser, de distraire et d'attirer l'attention des gens est devenue la « noire » ?
Non. La mienne.
On dit que vous êtes pour la peine de mort, contre l'islam radical et pour les États-Unis dans l'Irak. Cela fait de vous un réactionnaire ou un démocrate?
Je soutiens la peine de mort pour les tueurs en série, les tueurs d’enfants, les assassins de masse (comme les gangsters mexicains de Ciudad Juarez), les terroristes, les génocidaires, les criminels de guerre et les criminels contre l’Humanité.
Je suis bien clair ?
Il n’y a pas d’Islam « radical ». Il y a l’Islam, point. (Re)-lisez le Coran, tout y est dit en toutes lettres.
L’Islam est à la fois le néo-totalitarisme synthétique du XXIe siècle et l’origine archéo-historique de tous les totalitarismes.
Selon moi, la démocratie c’est la dictature des masses. La « réaction » n’est par définition qu’un mouvement « réactif », or même les morts peuvent avoir de tels réflexes.
Je suis un catholique-futuriste.
Est-ce que vous connaissez des écrivains brésiliens ? Est-ce que le Brésil existe dans votre imaginaire ?
Je connais mal la littérature brésilienne, dans l’univers sud-américain je connais mieux les écrivains Argentins, Chiliens, ou Mexicains, mais paradoxalement, c’est parce qu’il est une « terra incognita » littéraire qu’il continue de focaliser mon imaginaire, grâce à des films surtout, comme Aguirre, la colère de Dieu, O Cangaceiro, voire certaines bandes dessinées de mon enfance.
On dit que les gens lisent de moins en moins. Mais vous écrivez des pavés et ils se vendent très bien. Vous pensez qu'il y un mythe autour d'une crise de la littérature ou pour être lu il suffit d'être vraiment bon ?
La littérature est en crise par essence.
Pour être vraiment lu — ce qui est la seule chose qui importe — il faut braquer la banque : il faut commettre un hold-up dans le cerveau des lecteurs.
Vous écrivez pour quoi ? Besoin existentiel, pour l'argent, pour mener à bout un projet esthétique, pour tuer le temps ?
Tout roman est une forme de vie qui vous demande de la mettre au monde.
Sinon il se pourrait bien qu’elle vous tue, elle.
C’est le plus implacable de tous les contrats
Bien à vous –
MgD
« Maurice G. Dantec »
Propos recueillis par Layticia Audibert et Mikis Fernandez, Balthazar, n° 26, 1er novembre 2009, p. 76-77.
Maurice G. Dantec, qui se définit lui-même comme un écrivain nord-américain de langue française, a immigré au Canada il y a douze ans. Il nous a reçus dans son appartement de Montréal pour la sortie de son nouveau roman Métacortex (parution janvier 2010), second volet, après Villa Vortex, de la trilogie Liber Mundi (« Le Livre du monde »), charge érudite contre une société en route vers sa fin et devenue suicidaire, où la littérature est virale et tente de contaminer le débat contemporain. Péremptoire, énigmatique, provocateur... Rencontre avec cette grenade dégoupillée qui, qu'on l'adule ou qu'on l'exècre, trône dans la caste fermée des grands écrivains.
La science-fiction est-elle un mode opératoire que vous auriez choisi parce qu'elle correspondrait le mieux au message que vous voulez véhiculer ?
La littérature fait les choix pour toi, le mode opératoire te choisit. La science-fiction s'impose à partir du moment où tu fais de la fiction qui traite de l'impact de la science sur l'humain. On est loin des histoires de guerre des étoiles ou d'extraterrestres...
Parlons de Métacortex, votre nouveau roman...
Il m'a fallu dix-huit moins pour l'écrire. C'est le deuxième volume de la trilogie Liber Mundi qui n'est pas à épisodes. Ce ne sont pas les mêmes personnages car j'ai voulu que les constantes dans ces livres soient de l'ordre du non humain : la ville, la violence urbaine, la police au sens grec et au sens moderne. C'est aussi un roman policier et criminel, j'y fais aussi intervenir quelques notions théologiques, pas beaucoup car visiblement les Français ont du mal avec le fait que l'on s'aventure au-delà des biens de ce monde, donc il n'y a que quelques références qui s'articulent avec la narration. Ce livre est la description du début de la fin.
L'apocalypse comme thème récurrent ?
L'apocalypse, il faut s'entendre : la révélation comme une fin avant le début de quelque chose. Là je ne montre que la fin, je ne dis pas ce qu'il y aura après. C'est un thème récurrent à la trilogie. C'est l'histoire d'un flic et de son collègue qui font partie d'un département spécial de la sûreté du Québec, qui s'appelle la Direction du renseignement. Ils enquêtent sur deux séries de meurtres, l'une politique, l'autre pas. Et ils vont tomber sur le crime de droit commun le plus énorme de l'histoire. La fin de ce monde survient parallèlement à cette découverte. La base du livre est que la Seconde Guerre mondiale ne s'est en fait jamais arrêtée. Les nazis ont fabriqué le monde dans lequel nous vivons. Les Russes et les Américains n'ont fait que reconduire sous une apparence humanitaire le régime nazi. Celui-ci s'est transat sous la forme d'une gouvernance supranationale : l'ONU, c'est le 4e Reich.
Vous dites souvent que l'homme du XXIe siècle est mort. En quoi le sur-singe est-il différent du « singe » ?
Ce n'est pas une mort subite. C'est une longue maladie. Le sur-singe est différent car « il est instruit », c'est pire. Le sur-singe est le moment où l'homme régresse tout en progressant. À l'échelle historique, dès l'apparition de l'écriture, ça ne fait que descendre. C'est tentant le confort intellectuel et matériel, penser qu'on va vivre dans la paix perpétuelle. Cette idéologie apparaît clairement au XVIIIe siècle. Pour que les choses soient totalement restaurées, elles doivent juste d'abord être totalement détruites. Personnellement, je pense que les trente prochaines années vont être chaudes. La mondialisation au sens « plus de frontières » fait que le terrorisme devient mondial.
Si Métacortex c'est la fin du tout, comment allez-vous faire le troisième roman ?
Un roman, ce n'est jamais qu'une indication du possible. Je ne dis pas que c'est le réel. En l'écrivant, j'ai vu jusqu'où ces possibles pouvaient aller. Le problème de la 3e ou 4e guerre mondiale sera une synthèse de tous les conflits possibles qu'aura connus le XXe siècle. L'écologie est aussi une arme de destruction massive. C'est le darwinisme à l'état pur. Transformer les agricultures traditionnelles comme le cacao en éthanol va conduire à ce que tout le monde produira des biocarburants, mais comment les gens vont-ils continuer à cultiver des terres et à se nourrir ? On va rouler propre mais on va avoir nettoyé le monde entier par la même occasion. Pour le pétrole, c'est pareil. En le remplaçant, on détruit l'économie des Saoudiens, des Irakiens et des Iraniens, entre autres. Cela risque d'aboutir à une catastrophe, un 1929 puissance 10.
Après les diverses adaptations de vos romans au cinéma, si un producteur vous proposait de scénariser vous-même vos propres romans, seriez-vous tenté ?
Non. Je n'aimerais pas. Je suis sur des projets de courts métrages mais ce sont des adaptations d'autres auteurs. Je n'ai pas pensé grand-chose des adaptations de mes romans. La Sirène rouge est à la limite mieux réussi que Babylon A.D., qui n'a plus rien à voir avec le roman.
Avez-vous été impliqué dans ce film Babylon A.D. ?
Oui, Mathieu Kassovitz est venu ici. J'ai reçu un premier jet qui allait, mais ça n'a rien à voir avec le produit final. C'est à se demander pourquoi ils ont acheté les droits.
Quels sont vos projets ?
Continuer à écrire le temps que ça va durer et puis élever ma fille le mieux que je peux, essayer de conserver le maximum de liberté dans ce que je fais. Je suis tombé sur une émission de Laurent Ruquier. Je ne sais plus qui était l'invité et Éric Zemmour dit quelque chose qui m'a semblé central dans la littérature de langue française : « Quand je lis un livre, je m'intéresse à la musique des mots, et ce quelle que soit l'histoire. » Là, je me dis double faute mortelle. Je me suis imaginé lui répondre : d'abord, quelle musique ? Du Mozart, du Rolling Stones ? Le pire là-dedans c'est que cette espèce de défiance de la narration au profit du style va à l'encontre de la littérature française qui rend indissociables le sens et la forme. Flaubert avait son « gueuloir » où il hurlait ses textes pour voir comment ça sonnait. Cela est représentatif d'un certain type de discours qui va à l'encontre de la littérature française. Le boulot d'un écrivain est de trouver une cohérence absolue entre le sens et la forme, de les fabriquer de concert. Si tu mets une ligne dialectique entre la forme et le sens, tu arrives au surréalisme ou alors aux histoires pour le peuple « sujet-verbe-complément ». Il doit y avoir une cohérence absolue entre le sens et la forme. Ça, j'ai du mal à le trouver dans la littérature française moderne. C'est le travail de l'écrivain que forme et sens soient ensemble et se parlent.
Pensez-vous que la crise plus générale que nous traversons peut induire un retour aux valeurs fondamentales ?
Je pense que les valeurs existent de tout temps, mais qu'on va plutôt vers une époque où elles seront valables pour une minorité. La grande majorité s'en va vers le mur.
« Pourquoi Maurice G. Dantec boycotte la rentrée littéraire »
Propos recueillis par Edouard Léaud, Contre-feux.com, 9 septembre 2008.
Que vous inspire le concept de rentrée littéraire ?
Très franchement, absolument rien. Ce n'est pas un concept, c'est juste quelques dates, courant sur septembre et octobre, durant lesquelles environ 800 romans paraissent et où de nouveaux « génies littéraires » font à chaque fois leur petit tour de piste. Cela donne aussi l'occasion à quelques « critiques » (de Rinaldi à J.-F. Kahn) de venir répandre leur coprolalie saisonnière.
Quel est selon vous le problème majeur de la littérature contemporaine ?
Qu'elle n'est que contemporaine. Engluée dans le quotidien et ses poncifs. La littérature française est atteinte d'un mal chronique : les autobiographies exposant un microcosme parisien sans intérêt pour le lecteur se multiplient.
Pour l'auteur de SF, cet abandon de la fiction ne constitue-t-elle pas la racine du mal ?
On ne peut pas créer de fiction si on n'est pas capable de produire du RÉEL. La France vit dans son joli phantasme post-collabo depuis 1945, elle ressasse ses miasmes et rumine son ressentiment tout en faisant la fête (comme le disait fort bien le regretté Philippe Muray). Le RÉEL, après 45, ça a été le Vietnam, l'atome, l'ADN, la conquête spatiale, l'informatique, les neurosciences. Pour faire simple : la Troisième Guerre Mondiale. La France, vous disiez ?
Y-a-t-il tout de même des écrivains français dans cette rentrée pour susciter votre enthousiasme ?
Comme je l'ai dit à un journaliste l'an dernier, j'ai un peu de retard. Pour l'heure, je suis plongé dans Saint Thomas d'Aquin.
210 romans étrangers sont présents dans cette rentrée. Les écrivains anglo-saxons sont-ils au-dessus du lot ?
Je ne pense pas qu'on peut se laisser aller à des généralités d'ordre "national" quand il s'agit de littérature, en tout cas il faut les manier avec précaution. Il est clair que bon nombre d'écrivains anglo-saxons se situent à une stratosphère au-dessus de la production française, mais on peut tomber aussi sur différents types de "faussaires", de Dan Brown à Jonathan Littell.
Avec Les Racines du mal en 1995, Babylon Babies en 1999 et Artefact en 2007, vous êtes, avec Michel Houellebecq, un poids lourd de chaque rentrée littéraire. Ce dernier va finalement faire partie de cette rentrée, puisqu'il est l'un des deux auteurs du projet marketing secret de Flammarion, XXX. Pourquoi avoir programmé la sortie de Comme le fantôme d'un jazzman dans la station Mir en déroute en janvier et non en septembre ?
J'ai légèrement remanié ce récit, il n'aurait pas été prêt pour la rentrée 2008, et le roman sur lequel je travaille depuis 2007 est programmé pour septembre 2009. De la pure organisation stratégique.
Vous avez remanié cette nouvelle écrite entre Les Racines du mal et Babylon Babies. Doit-on s'attendre à ce niveau d'excellence, ou s'agit-il d'un avant goût avant la rentrée 2009 ?
J'explique dans un bref avant-propos le pourquoi et le comment de la chose. Quoique remanié, ce récit est écrit avec un style relativement relâché, rapide, sans l'aspect « baroque » qu'on me reproche maintenant. C'était en rapport avec le projet initial (expliqué dans l'avant-propos) et en hommage à certains auteurs de la Série noire. Ce n'est pas un « avant-goût », c'est un texte qui n'avait pu être publié à l'époque et que je voulais voir imprimé avant la fin de cette décennie.
Le teaser, dans son opacité poétique, est-il fidèle au roman ?
Oui, car il se place d'emblée dans cette dimension « poétique »... Le roman, bien sûr, est plus linéaire sur le plan narratif.
Romain Gary, qui méprisait le microcosme littéraire parisien, avait choisi de brouiller les cartes avec le pseudonyme de Émile Ajar. Un tel recours ne permettrait-il pas aux critiques et aux lecteurs d'appréhender vos œuvres au-delà de la polémique sur votre prétendue islamophobie ?
Je me contrefiche complètement de l'avis des collaborateurs, ou idiots-utiles, de l'islamisme, ce communisme du désert. Si quelqu'un pense que l'Islam n'est pas une idéologie critiquable comme les autres, qu'il me donne l'adresse de sa Police Politique.
Regrettez-vous ces déclarations (épisode du bloc identitaire) qui vous ont catalogué ?
Absolument pas. Je sais ce que je leur ai dit. Je sais ce que les pigistes pravdesques de Libération ont sciemment coupé : à savoir mon opposition non négociable à leur anti-américanisme et à leur anti-sionisme. Ce qu'il y a de drôle c'est que sur ce plan, le Bloc Identitaire est à l'unisson de l'extrême-gauche qui me traite de nazi parce que j'ose tenter un dialogue avec eux.
Revenons à votre actualité littéraire qui est, pour le grand public, le film Babylon A.D., adaptation de Babylon Babies. Mathieu Kassovitz, le réalisateur, considère qu'il n'est que « violence pure et stupidité ». Partagez-vous ce diagnostic ?
Ce n'est pas le problème. Le film ne respecte pas les fondations mêmes du roman, il ne pouvait dès lors qu'être raté, tant sur le plan de l'écriture, que sur le plan du casting, ou sur celui des choix de production-réalisation.
Y aura-t-il une nouvelle adaptation plus fidèle au roman ? Si oui, participerez-vous plus activement à la réalisation ?
Une autre adaptation de Bxnabylon Babies ? Je serais mort depuis longtemps et par conséquent votre seconde question n'a plus de sens que « mystique ».
Vous vous présentez comme un « écrivain combattant, chrétien et sioniste ». Pourtant, vous avez souvent revendiqué l'héritage de la philosophie au marteau. Comment peut-on être chrétien et nietzschéen à la fois ?
J'ai beaucoup écrit à ce sujet, en particulier dans les 3 volumes de mon Théâtre des opérations. Il me sera difficile de faire ici une exégèse complète du problème. Un homme aussi croyant et savant que Gustave Thibon le pensait aussi, voyez-vous. Dans American Black Box, je me contente de dire que Nietzsche n'est pas un philosophe (ce qu'il revendiquait fortement) mais un prophète. Un Prophète de la mort de Dieu. Donc un « chrétien apophatique ». Et par conséquent, le « Théologien du Siècle des Camps ».
Vous affirmiez dans Fluctuat.net (en février 1999) que « les sectes, au sens étymologique et historique du terme, ont toujours été pour [vous] un facteur extrêmement dynamique dans l’histoire humaine. » Le 13 septembre prochain, vous serez en Normandie pour une rencontre avec vos fans, mais surtout avec les Babylon Babies, la communauté des lecteurs de Dantec. Comment expliquez-vous cette fascination presque mystique ?
Je ne suis pas d'accord avec vous. Il n'y a pas de « fascination mystique », il y a un intérêt pour un auteur qui ne fait pas où on lui dit de faire. Mes lecteurs ne sont pas des « fans », je ne suis ni Pascal Obispo ni Anna Gavalda. Les Babylon Babies – la Communauté des Lecteurs – n'est pas une secte (au sens moderne) mais un groupe de personnes qui se sont attachées à mon travail et qui essaient de le défendre contre les marées noires du nihilisme. Je leur en suis très reconnaissant. Si c'est une « secte », cela veut dire qu'elle se coupe du « reste du monde », et en effet, il y a dans cette communauté une sorte de volonté séparatrice, disjonctive, d'avec le reste de la littérature française. À la limite, je dirais que c'est bien pire qu'une « secte », pour le petit-bourgeois de gauche bien pensant. Ça ressemble plutôt à une armée.
« Le monde selon Maurice G. Dantec »
Propos recueillis par Christian Eudeline, VSD, n° ?, 17-23 octobre 2007, p. 52-54.
Écrivain contesté voire contestable, à l'écriture azimutée, Dantec ne laisse pas indifférent. Il commente quelques figures clés de notre époque.
L'écriture de Maurice G. Dantec ressemble au tir méthodique d'une mitraillette : sous le feu de ses mots, difficile de résister. Artefact (Machines à écrire 1.0), son dernier ouvrage, n'est pas le genre de livre que l'on referme au hasard d'une lecture occasionnelle. Coup de chance, il réunit trois nouvelles, ce qui nous évite ainsi quelques nuits blanches. Point commun : la notion d'identité ou plutôt d'altération de celle-ci. Les romans policiers et politiques des débuts (La Sirène rouge, Les Racines du mal) laissent donc la place à une réflexion plus existentielle et beaucoup plus personnelle. Difficile d'ignorer l'emploi de la première personne, ainsi que l'action qui se situe sur ses terres d'adoption, l'Amérique du Nord (l'écrivain habite au Canada). Pour VSD, Dantec réagit à quelques mots-clés décrochés à son attention.
Coupe du monde de rugby
Le rugby est un sport que j'apprécie depuis que je suis môme. Mon père ayant été rugbyman dans son enfance, il m'avait transmis un peu de sa passion. Je n'y ai jamais joué. Moi, ce serait plutôt les arts martiaux, j'en pratique depuis que je suis adolescent, cela a pour moi une importance hygiénique. En France, peu d'écrivains se sont approchés du sport comme ont pu le faire Jack London, Arthur Cravan ou Ernest Hemingway. Je ne sais pas pourquoi, mais ça semble compliqué. Un écrivain se situe toujours, même inconsciemment, par rapport au champ littéraire qui l'entoure, or en France personne n'ose faire le premier pas. Est-ce que la Coupe de rugby va donner des idées ?
Paris Hilton
C'est une sorte de simulacre ultime, une création dont on peut se demander si elle n'est pas virtuelle, et, en même temps, elle possède une force de polarisation de l'attention sur elle qui dépasse l'entendement. Quelque part elle n'est rien, et justement on est entré dans cette époque où c'est ça qui va attirer l'attention. Désormais, en ne faisant rien d'autre que du night-clubbing, on peut prétendre devenir un modèle de vie. Même un écrivain de science-fiction n'aurait pu imaginer la chose.
Papa
C'est le rôle le plus mystérieux qu'un homme tient dans sa vie. Faut-il être sévère, papa gâteau ? Avec ma fille, il y a des choses sur lesquelles je ne passe pas, d'autres qui sont beaucoup plus négociables. Sur le plan scolaire, je suis dur, c'est un héritage de mon père. Par contre, elle peut se coucher à l'heure qu'elle veut, mais, le lendemain, il faudra se lever. Et si jamais elle revient un jour avec les cheveux bleus, je lui dirai : « Alors, tu fais comme tout le monde ? »
L'élection présidentielle 2007
Oui, j'ai voté, je ne m'en suis pas caché. J'ai surtout voté contre. J'ai voté contre Ségolène Royal et contre le Front national qui pour moi sont les deux ennemis complets, même si souvent copains comme cochons dans l'histoire, car le nationalisme et le socialisme ont souvent fait des marmots avec des petites moustaches… Voter, c'est encore le dernier geste de solidarité que je pouvais avoir avec la France. Je ne vis plus ici et j'ai compris que la page était tournée. Je me considère comme un Nord-Américain.
La folie
L'écrivain est aliéné de fait, aliéné ça veut dire étranger à soi-même. Oui j'en fais partie, mais nous sommes peut-être juste des schizophrènes qui avons la chance d'avoir l'écriture qui maintienne les deux parties de nous-même ensemble, alors qu'un schizophrène ordinaire, malheureusement, est victime de disjonction. Il n'a rien pour ressouder. Me suis-je fait interner à un moment ? Ce sont des choses trop intimes pour être dévoilées.
Le 11 septembre 2001
C'est la première fois dans l'histoire que l'on assiste à ce phénomène : deux technologies – d'un côté des avions de ligne, de l'autre des tours extrêmement sophistiquées en matière architecturale – se détruisent l'une l'autre, par l'intermédiaire de civils. Ce sont des technologies de civils détournées à des fins militaires, par des civils contre d'autres civils mais sans aucune intervention du militaire. Ça n'est jamais arrivé dans aucune guerre, or, pour moi, c'est la révélation d'une configuration qui est celle du XXIe siècle, la guerre de tous contre tous. Est-ce qu'un miracle peut en surgir ? C'est la question que je me pose dans mon livre.
Michael Moore
C'est le plus grand plagiaire de sa génération ! La chose qui m'a le plus attristé par rapport à la France, c'est de le voir récolter en 2004 une Palme d'or à Cannes pour son documentaire Fahrenheit 9/11. Ça n'est même pas un film. En plus, on sait que ses recettes profitent directement à la firme Halliburton qui appartient à Dick Cheney [vice-président des États-Unis depuis 2001, membre du parti républicain américain, NDLR], et que comme d'habitude, en bon gauchiste, c'est le pire patron de droit divin qui puisse exister. Alors, ce type qui se moque de l'Amérique en étant en même temps presque l'emblème du bouffeur de Big Mac, je suis un peu dépassé par l'image dont il profite ici.
Police vs Iggy Pop
Police est passé en concert à Montréal et je ne suis pas allé les voir. Tous ces come-back me gonflent. La dernière fois que je les ai vus, ça devait être en 1982, un an avant leur séparation. Mais revenir après tant d'années, ne me faites pas croire que c'est pour la musique… Il y a pourtant des exceptions, Iggy Pop qui reforme les Stooges, mais là on touche au mythe. Les Stooges, c'était un groupe d'exception au départ, aujourd'hui, trente-cinq ans plus tard, ça l'est toujours. Police n'a jamais eu cette dimension.
L'amour
Il y a une telle surenchère de sentimentalisme dans la littérature française que je n'ai pas encore trouvé ma place pour pouvoir en parler comme je le voudrais. C'est un terrain très vierge sur lequel j'ai un peu de mal à m'aventurer, mais que j'ai envie d'explorer. Stendhal ne pourrait pas lire la moitié des romans qui sont publiés aujourd'hui, comme si on avait lu Georges Bataille sans rien y comprendre. Quand ce dernier parle d'érotisme, il parle du sacré, il n'évoque pas des séances de baise sur la banquette arrière d'une voiture. L'amour reste un mystère, même lorsqu'on l'a trouvé, on ne cesse de le chercher, car c'est là qu'il se trouve, dans un endroit mystérieux. L'amour est une quête perpétuelle.
Les drogues
Je fume du cannabis, tout le monde le sait, mais je fume moins qu'avant. Je me suis servi du cannabis comme d'une plante médicinale, c'était le moyen de gérer des problèmes psychologiques. Il m'est arrivé de tester autre chose pour écrire, dans Villa Vortex [Gallimard La Noire, 2003, NDLR] par exemple, mon personnage prenait de la méthédrine [dérivé de l'amphétamine, NDLR], et là je me suis dit que je n'avais pas le choix, que je devais expérimenter pour mieux écrire dessus. Mais ce n'est pas très bon pour mon organisme, je ne ferais pas ça tous les jours !
Le diable
Il est là pour faire chuter l'homme, pour qu'il s'autodétruise, c'est son grand jeu. Il n'existe pas, c'est un simulacre, c'est-à-dire une copie sans original qui parvient à un semblant d'existence par le fait que l'on croit en lui. Et croire au diable c'est être son allié, son ami, le diable, c'est une force dans l'homme, la force réalisée du nihilisme. Dieu c'est l'inverse. Il est en chacun de nous mais comme étincelle de transcendance, justement pour nous redresser après la chute, pour faire en sorte que précisément même le diable ne puisse pas nous atteindre. Il est dit dans la prière : « Délivrez-nous du mal ! » On l'a oublié dans nos sociétés modernes, techniciennes, très rationalistes, mais il y a des forces en l'homme qui n'ont d'autre but que de nous faire chuter, c'est notre part du Diable.
Les femmes
Je ne suis pas un tombeur, je me suis fait tomber parfois, en revanche, mais je ne suis définitivement pas un tombeur.
« Maurice G. Dantec le dérangeant »
Propos recueillis par Maedel, Black Mamba, n° 5, janvier 2007, p. 58-61.
D'où vous est venu Grande Jonction ?
Grande Jonction a émergé du précédent livre, comme souvent. Il peut être lu indépendamment, mais il y a des points de suture entre les deux univers.
Dans Cosmos Incorporated, le monde était régi par la Mégamachine. Comme Günther Anders l'avait deviné, la Mégamachine est l'humanité qui s'est « co-machinisée » ; elle est devenue pièce et organe de la grande machine. Chaque individu est, d'une certaine manière, un ordinateur relié au grand réseau biocybernétique humain.
Une fois ce roman achevé, des questions immédiates se soulèvent : Qu'est-ce qui se passe quand cette humanité qui s'est co-machinisée se démachinise ? Qu'est-ce qui se passe dans le psychisme et le corps, quand le langage dont elle se sert devient pur langage-machine ?
Tout en étant la machine qui m'apportera des réponses, un roman m'apparaît pour me poser des questions. Comme dans un commissariat de police il me balance des flashs de lumière dans la figure tout en posant et demande : qu'est-ce que l'infini, la lumière, l'électricité et la musique électrique du XXème siècle ? Élément qui ici s'est finalement révélée question centrale.
Puis des processus s'imposent. Ainsi chaque chapitre porte le nom d'un album, titre ou groupe de rock. Ils me sont apparus naturellement dans le processus du récit sans que j'aille les chercher. Le premier chapitre est « Radiohead » : je savais qui était Gabriel Link de Nova. D'une certaine façon, il télécharge la musique des machines par son cerveau, l'extrait et la recompose. Il a une tête-radio.
Pensez-vous vraiment que nous vivons une période de « dévolution » ?
Les signes sont partout. Ouvrez votre poste de télévision, cette lucarne, non pas sur le réel mais sur elle-même. Tout le monde veut ressembler à la télévision, comme les jeunes filles qui rêvent de chanter à la Star academy. Les émissions sont toutes juste des émissions de société et la littérature n'est qu'un faire-valoir. Il n'y a plus de débats critiques. La pensée est gélifiée, plongée dans un bain d'azote liquide. Elle recule.
Je ne suis pas pessimiste : quand on a la foi, on a l'espérance. Je suis un réaliste au sens de Saint Thomas D'Aquin. Le réel est ce qu'il est ; on peut toujours avancer ses doses de fantasmes, de droite comme de gauche, écologistes ou industrialistes… mais la dévolution a déjà commencé.
Quels sont selon vous les symptômes de cette rupture ?
Günther Anders en avait fait le tour. Nos créations sont devenues plus grandes que nous, infiniment plus grandes. Nous construisons des machines qui nous échappent. Il faut revenir au problème tel que j'essaye de le localiser dans Grande Jonction. Quand le Moyen-Âge, âge d'or de l'humanité selon moi, s'effondre, une division terminale s'opère entre science et foi. Le rationalisme a coupé la technique de la transcendance. La technique devient alors prédatrice par rapport à l'humain.
La différence entre le régime de l'homme et celui de la machine s'estompe. La machine devient de plus en plus humanoïde, l'humain de plus mécanoïde. À tel point que si on fabrique un jour des androïdes, ils seront plus humains que nous.
La Shoah est sans doute l'élément-rupture qui nous a fait passer de l'autre côté de l'humain. Le peuple juif est celui de la parole, et au-delà de la destruction des corps, c'est la destruction du langage que voulaient opérer les Nazis ; tout devient comptable, y compris la mort.
Dans mon roman, la dévolution terminale est le moment où le langage devient une suite de nombres. Il s'agit d'une déshumanisation et d'une démachinisation. Je ne suis pas manichéen ; il ne s'agit pas d'une lutte de l'humanité contre la machine mais de l'humanité contre elle-même. Comme le savait Deleuze, le psyché est un réseau de machine, même symbolique. Lors de sa seconde chute, l'humanité perd à la fois l'usage du langage, mais aussi celui des nombres, car ce sont les nombres qui l'envahissent. L'humanité devient alors une espèce de non-être ; elle n'est ni dans l'existant ni dans le non-existant, mais demeure dans une sorte de limbe. Et je pense que c'est ce qui nous attend.
Nous vivons pourtant dans l'idéologie du progrès, que vous inspire cette perpétuelle course aux nouvelles technologies ?
Le progrès est la grande illusion d'optique des trois siècles bourgeois que nous avons vécu. L'histoire se meut dans plusieurs directions différentes, voire opposées. Penser qu'il y gun progrès revient à penser qu'il y a un sens précis à ce moment de l'histoire, donc une direction et un avenir radieux qui nous attendrait quelque part. Je ne crois pas au progrès mais je suis évolutionniste.
Bien sûr, la création du monde en sept jours est une métaphore, mais je pense que Dieu existe et que la création a un dessein intelligent. Contrairement aux idées reçues, Darwin est moins anti-chrétien qu'anti-bourgeois. L'idée de descendre du singe choquait avant tout la bourgeoisie.
Les scolastiques voyaient eux aussi un dessein, une évolution, car il y a émergence de la conscience connaissant Dieu. Si cela peut-être mis sous l'appellation « progrès », alors je veux bien le prendre à mon compte.
Comment expliquez-vous votre conversion à la foi catholique alors que vous êtes issu d'une famille catholique ?
Après la lecture de Nietzsche, je sens qu'en effet, le monde est en train de mourir car Dieu est mort. Dans les années 80, je suis Punk mais la question me travaille déjà par le biais de mes lectures, et ce peut être Dostoïevski comme Franck Herbert. Les années 90 sont marquées par la guerre yougoslave, ma rencontre avec l'Islam, mon voyage à travers le christianisme. Et un jour, c'est le choc, « l'éclair » dit Heidegger : tout s'illumine ; les paradoxes dialoguent les uns avec les autres et forment une vérité.
Les références philosophiques, théologiques tiennent une place de plus en plus importante dans vos romans, avez-vous déjà songé à écrire un essai philosophique ?
J'ai déjà songé à un essai de métaphysique, mais je ne sais pas encore si c'est ce que je dois faire. Je semble plus à l'aise dans la retranscription de la pensée via la fiction. J'ai dit un jour à mon agent que quand je serai centenaire, j'écrirai un essai théologique. C'est une possibilité. Pour le moment, narration et pensée sont entrelacées. Différencier la forme et le fond m'est impossible. Je suis un maniaque de la cohérence entre chaque niveau de lecture.
Pourquoi avez-vous travaillé avec trois éditeurs différents ?
Gallimard a refusé la publication du troisième tome du Théâtre des Opérations, American Black Box, tout en voulant publier Cosmos Incorporated. J'ai refusé leurs conditions et quitter la maison. American Black Box devait paraître ensuite chez Flammarion, mais au bout de trois mois, j'ai reçu le manuscrit avec un tas de corrections « non, non, danger, fatwa… » Albin Michel a finalement accepté l'ensemble de l'opération.
Vous vivez au Canada depuis 1997. Pourquoi avoir quitté la France ?
La France n'a plus de destinée manifeste. Elle est incapable de proposer un futur, ni même de proposer une constitution se référant aux valeurs judéo-chrétiennes de l'Europe, ce qui est pour moi la moindre des choses. Le champ des idées politiques est dévasté, à droite comme à gauche. En Amérique, j'ai trouvé LA Liberté. Le Canada est une monarchie. Je préfère être sujet de la reine d'Angleterre que de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy ou Ségolène Royal. Je ne vois pas d'autre avenir en France que l'effondrement des institutions, puis une période de chaos…
« Ils ont dit : Maurice G. Dantec »
Propos recueillis par Lorenzo Toporovski, Transfuge, n° 13, novembre-décembre 2006, p. 77.
Je peux être influencé par des théologiens de l'an 600 comme par des écrivains de littérature générale comme William T. Vollmann ou James Ellroy. Et pour la SF, j'ai grandi à la source des Brunner, van Vogt, Dan Simmons et évidemment Dick.
Dick, c'est une pierre angulaire, un type qui s'est imprimé quand j'étais jeune. Je partage avec lui son attachement au christianisme. Pas sur la manière ou les thématiques mais sur ce qui se cache dessous : c'est-à-dire la conversion. Si on prend le Dick des années 60, rien ne laisse présumer sa conversion. Ce n'est que dans les années 70, lorsqu'il commence le cycle de Siva et La Transmigration de Timothy Archer qu'il plonge.
Si nous n'avons pas la même interprétation des Écritures, nous coïncidons sur l'idée que le réel est un secret qu'il faut découvrir. Ça n'est pas le réel qu'on a devant nous. Dans les deux sens du terme : il faut lever le voile. Comme dans la crucifixion du Christ où le voile qui cache la vérité du tabernacle se déchire. Il y a entre Dick et moi une proximité évidente dans la vision que nous avons du réel : il est un mystère qui nous est caché par l'Histoire des hommes, par ce qu'ils font tous les jours. Qu'est-ce qu'ils font tous les jours ? Ils fabriquent des simulacres, ce qu'on fait chaque fois qu'on se lève jusqu'à ce qu'on se couche.
Dick écrit sous emprise. Un écrivain peut être alcoolique, schizoïde, abuser de drogues ou les trois à la fois. À part pour ceux qui construisent des essais, un écrivain qui sait vraiment ce qu'il fait, c'est suspect. Il y a chez Dick comme chez moi quelque chose qui veut parler et il faut lui donner une voix. C'est le roman qui essaie de commander l'auteur pourquoi obéisse à ses règles. Le roman demande à exister et se sert d'une machine humaine pour parvenir à l'existence. Et les effets secondaires, c'est l'aggravation de la maladie.
« Maurice G. Dantec »
Propos recueillis par Hubert Artus, Playboy, 1er novembre 2006, p. 52-55.
Dans une époque sans repère, Dantec ausculte la face cachée, inavouée du monde. Ses livres, il ne les propose pas, il les jette à la face de ses lecteurs comme de ses détracteurs. Bilan physiologique et politique d'un homme dans son temps. Pour le meilleur et aussi pour le pire.
En 1995, la collection Série noire publiait un des textes majeurs du roman noir français moderne : Les Racines du mal, de Maurice G. Dantec. Pur produit de la contre-culture punk électro, l'auteur frappait un grand coup dès son second roman : rénovant le genre du « techno-thriller », il imposait la littérature comme une arme de guerre. Ce livre, comme les suivants, révélait un styliste qui remettait le lyrisme là où s'effondraient nos villes et où gagnait la barbarie. En cela, Dantec est, depuis lors, pleinement dans son temps : la noirceur, les fulgurances et les errances paradoxales de ses romans épousent parfaitement les secousses spirituelles et géopolitiques de notre temps. À une époque qui n'a plus aucun repère, il offre une littérature qui ausculte la face cachée du monde. La face inavouée. Mutante. À laquelle il donne une âme. Dantec est un écrivain – un vrai – qui, avec un clavier et des idées, peut tuer un homme ou ouvrir un monde. Son dernier opus, Grande Jonction, suite de Cosmos Incorporated paru l'an dernier, crée un univers tout en se faisant roman théologique.
Depuis 1998, l'écrivain vit au Québec, il a recouvré le baptême catholique et la double nationalité franco-canadienne, et a teinté ses idées d'atlantisme forcené. Son côté obsessionnel – revendiqué – l'a même mené, un soir d'hiver 2004, à correspondre avec les nazillons du groupuscule Bloc identitaire. Une « réinitialisation » personnelle qui était en germe depuis des années, comme en témoignent ses diatribes contre l'islam, contre la révolution sexuelle, contre la gauche ou contre l'Europe du Théâtre des opérations. En effet, à l'instar de tout un pan de sa génération – celle devenue adolescente après 1968 et longtemps restée « adulescente » – tuer le père signifie pour lui tuer les références politiques et culturelles. Mais, comme la précédente, sa génération est récupérée par le capitalisme. Le deuil de soi-même est alors impossible et certains, par aigreur, passent directement de la contre-culture à la contre-révolution. Dantec a pris ce chemin-là. Mais n'a pas, pour autant, cédé aux sirènes du « c'était mieux avant ».
Si ses romans véhiculent maintenant les susdites idées, ils sont aussi une piqûre de rappel : toujours garder une distance avec ce que l'on lit. Certes, l'homme peut être adorable une heure puis, d'un coup, revenir sur sa propre parole l'heure suivante. Certes, il surdoué la posture du « romancier nord-américain de langue française » (dixit). Certes, certains de ses raccourcis (« musulman » égale « islamiste en puissance ») demeurent indéfendables. Certes, il est maintenant « suivi » par un agent dans sa communication. Mais ses romans, qui sont une plongée en apnée dans les paradoxes et les retournements de notre temps, demeurent les plus puissants sismographes dont dispose le roman français actuel.
Auparavant, vous vous présentiez comme un romancier français exilé à Montréal ; aujourd'hui comme un écrivain nord-américain de langue française… C'est une posture ?
Je m'intéresse de moins en moins à ce qui se passe en France. J'ai bien observé l'affaire Ilan Halimi, les manifs contre le CPE. Le public français est certes mon public de base mais, politiquement, je m'intéresse de moins en moins à la France. Je ne vois qu'un pays qui refuse de regarder le présent dans les yeux et qui, donc, ne se réserve aucun futur. Et qui est en train d'oublier son passé. Mon rapport avec la France moderne est définitivement cassé. La France qui m'intéresse est celle de Jeanne d'Arc ou Bernard de Clairvaux. Que dire de l'envoi des Casques bleus français au Liban ? Je les ai vus en Bosnie, les Casques bleus français ! Ils n'ont pas le mandat de désarmer le Hezbollah et pas, non plus, le mandat d'interdire leur réarmement, c'est à mourir de rire ! Ils vont regarder passer les roquettes du Hezbollah, à la jumelle. Ils finiront par se les prendre, puis ensuite celles de Tsahal qui sera revenu sur place en voyant que les Casques bleus ne font rien… C'est sûr ! Alors qu'il aurait fallu aider l'armée libanaise – financièrement et matériellement – à faire le travail, on envoie une armée qui ne fera rien. Ça va même contre l'intérêt des Libanais…
Vos positions sont très « atlantistes ». Ne pensez-vous pas que l'administration Bush-Cheyney-Rove-Wolfowitz risque d'emmener à sa propre destruction ce pays qu'ils ont contribué, certes, à rendre plus puissant mais aussi plus pauvre – et dépendant entièrement du bon vouloir financier chinois et saoudien ?
Wolfowitz, qui, comme de nombreux dirigeants U. S. aujourd'hui, vient de l'extrême gauche, a résumé simplement la chose : il a compris qu'il s'était trompé, a fait son autocritique et a pensé le monde de manière différente. Bush est typique du président que veulent les Américains, c'est tout. Villepin, qui fait des allégories sur Rimbaud, est typique de la France belle parleuse. Bush est typique des Américains : c'est un « redneck »…
Votre découverte de l'Amérique, votre passage de la contre-culture à la contre-révolution et à la réaction ne sont-ils pas à rapprocher du phénomène « re-birth » – cette nouvelle philosophie qui caractérise l'engouement des Américains pour la religion ?
Oui, c'est vrai ! Mais il faut savoir de quel monde on a envie. Quand j'ai pris l'avion de Montréal pour Paris, je n'ai pas pu monter avec une canette de Coca dans l'avion car des cinglés se mettent à fabriquer des bombes avec des produits liquides, donc c'est interdit. Je n'ai pas envie de ce monde-là ! Définissons qui sont nos amis et qui sont nos ennemis – ce que la France ne semble plus capable de faire. C'est la base de la politique.
Pourquoi forcément faire de tout musulman un islamiste, comme l'attestent souvent vos propos ?
Je ne hais pas l'islam et je n'ai rien contre les musulmans, rien contre les personnes. En revanche, je constate le virage idéologique radical de cette religion et considère de ce fait les musulmans comme d'authentiques victimes de l'islam. Le futur dira si j'ai eu tort de prononcer ces mots.
Votre roman Grande Jonction est une sorte de western technologique. Le western étant l'ancêtre du polar, est-il pour vous également LE genre du futur ?
Oui, je pense. J'ai effectivement transposé des figures mythiques (le shérif, la loi, les chasseurs de primes, etc.) dans un monde qui n'a strictement rien à voir avec le XIXe siècle américain. C'était jouissif et certainement pas innocent. Cela m'a procuré un grand plaisir d'écriture, d'où le fait que ce roman de sept cents pages a été écrit en six mois ! Les personnages m'entraînaient, je les voyais. De plus, ici, leurs pensées et leurs dialogues sont toujours liés à leur propre survie : ils pensent à Dieu quand le Diable est là… Quand j'ai commencé à réfléchir pour trouver comment, dans Grande Jonction, parler du « monde d'après la Machine », j'ai pensé avant tout en termes de paysages. J'ai alors rabattu toute la verticalité mise en place dans Cosmos sur une horizontalité : le territoire. Du coup, le personnage principal de Grande Jonction, c'est le territoire et sa loi. Et de là est née mon envie de faire un western. Le western, c'est l'horizon.
Qui dit western dit roman d'espaces, donc roman américain… Voudriez-vous devenir le plus grand romancier français de roman américain ?
Je ne me définis plus du tout comme un romancier français. Mais comme un romancier nord-américain de langue française. Je n'ai rien à voir avec la littérature nationale ici, hormis quelques rarissimes auteurs. Les interrogations de la littérature française se sont pas les miennes. Grande Jonction est mon premier véritable roman américain, effectivement. C'est pourquoi la mythologie du western, de la loi, a pris une vraie consistance. Si j'étais resté dans la position du romancier français, jamais je n'aurais pu écrire ça. Plus ça va, plus le fossé se creuse entre moi et le vieux monde…
Ce roman est moins provocateur que vos précédents, moins anti-islam…
C'est parce que ce roman présente un monde qui, « machinisé », n'a plus aucune religion… C'est le retour à l'âge de pierre. Le troisième tome du Théâtre des opérations, qui sort dans quelques mois chez Albin Michel, dira tout ce que je pense de la politique et de la religion. Après, je retourne au roman pur.
« Le foot en 2050 vu par Dantec : "Le sport et la guerre ne feront plus qu'un" »
Propos recueillis par Hubert Artus, So Foot, n° 38, novembre 2006, p. ?.
Quelque part entre l'humanisme anar et la nouvelle droite, entre le roman SF criminel et le livre théologique, le personnage Dantec représente parfaitement l'homo occidentalis du XXIe siècle. Dans la foulée du Cosmos Incorporated, paru l'an dernier, il sort actuellement Grande Jonction, un western technologique dans lequel il unit, comme toujours, ses obsessions et son histoire. Et dans ce merdier, il ressemblera à quoi le football ?
Pensez-vous que la culture foot va se développer dans l'avenir ?
Je déteste le mot « culture » tel qu'employé depuis 1968. Tout est « culture » maintenant, la poterie du Botswana oriental comme les macramés du Larzac, ou deux graffitis obscènes placés côte à côte sur un mur de métro. Le football est un sport, un sport de masse, un sport où règnent argent, gloire, ambition, succès, échecs, scandales. Le foot est entré dans la culture occidentale, en tant que référent éventuel, et non l'inverse.
Si Gabriel Link de Nova (personnage principal du roman, une sorte de David Bowie du futur, Ndlr) jouait au football, entre deux réparations et créations, quel serait son poste ?
Avant-centre orbital, mission : pénétrer la défense adverse à l'aide d'un riff de rock cosmique, prendre possession de la surface de réparation grâce aux théories de l'infini et étoiler le but en pleine lucarne avec un obus fusant à la vitesse de la lumière.
Grande Jonction, votre roman, se situe en 2070. Comment imaginez-vous le foot de ces années-là ?
En 2070 il n'y a plus de nations, l'idée même d'un match international est donc absurde. Le monde est mort, l'idée d'une coupe du monde l'est tout autant. J'imagine mal les rescapés de l'époque, dans leur « camp-monde », jouer à autre chose qu'à la courte paille pour savoir qui servira le dîner. Le seul « sport » que je peux encore imaginer pour l'époque est indissociable de la vie quotidienne, de la survie quotidienne devrais-je dire, il s'agit des arts martiaux combinés (MMA), tels le pride, l'UFC ou le K-1. Le sport et la guerre ne feront plus qu'un.
Dans cette optique, ne peut-on pas imaginer un football ultraviolet avec des morts à la fin des matchs ?
Une sorte de Rollerball ? Je ne sais pas. Dans mon univers, sport, guerre, économie, écologie, cognition, tout ses superpose. Le sport sera simplement la phase d'entraînement à la survie, donc à la guerre de tous contre tous.
Si, en 2070, le football devait avoir disparu, de quelle époque dateriez-vous sa disparition ? De quelle façon aurait-il disparu ?
Dans mon roman précédent, la Chute de la machine [structure technologique et géopolitique qui « gère » le monde alors dominé par l'islamisme. Une sorte d'ONU d'époque, Ndlr] est datée de 2057, jusque-là, la post-modernité a vaincu, les sports de masse et la technologie sont des ingrédients essentiels du monde mis en place par la « Métastructure » (l'humanité mise en réseau bio-cybernétique). Le foot peut fort bien survivre jusqu'à cet effondrement général. Mais pas après. Les circonstances de la disparition exactes sont imprévisibles.
Pourquoi ?
Parce que le monde de la « Mégamachine », celui dont nous préparons présentement l'avènement, aura disparu avec ses technologies, ses dispositifs de communication, ses communautés, etc. Plus besoin de « jeu » lorsque la vie en son entier est un jeu dont la vie est « l'enjeu ».
Quelles évolutions morphologiques envisagez-vous chez les sportifs, à l'avenir ? Quid du clonage ?
Le clonage réplicatif n'offre aucun intérêt. Les techniques de dopage utilisées par les sportifs d'élite sont à l'étude dans l'armée américaine. En contre-partie l'US Army met au point son « land-cyberwarrior » pour 2010/2012 : exosquelette décuplant la force et l'endurance musculaire, implants neurospinaux, puces intégrées aux organes pour réguler leur métabolisme, fabrication artificielle stimulée d'EPO ou d'autres protéines, je vous renvoie à Babylon Babies (roman de M. G. Dantec paru en 1999 chez Gallimard). Encore une fois, le sport et la guerre font l'amour, leur copulation est en train de créer le XXIe siècle.
« L'apocalypse selon Maurice G. Dantec »
Propos recueillis par Philippe Dufay, Lire, n° 349, octobre 2006, p. 70.
Dantec, dantesque ! Un western futuriste. Un pavé de huit cents pages. Ça dépote ! Nous sommes en 2070, le grand djihad a détruit les 99 % de l'humanité, et le numérique achève les rescapés en s'attaquant au langage. Un jeune enfant de 12 ans armé d'une guitare et de milliers de livres déménagés du Vatican en ruine sauvent les derniers hommes.
Votre roman, c'est l'histoire de la fin de l'homme ?
Oui, c'est aussi l'histoire de sa dévolution et de sa récréation. C'est un livre apocalyptique au sens propre du terme. Mon premier livre qui ne soit pas dominé par un grand pessimisme.
Pour vous, les hommes ont deux ennemis : le numérique et l'islam ?
Le numérique, oui. L'islam, non. On est dans la posthistoire, l'islam a disparu, comme toute autre religion… Il s'agit de bandes de pillards, des groupuscules de toutes les nationalités. J'en ai rien à foutre de l'Islam !
Au-delà du divertissement propre à la science-fiction, vos lives se veulent-ils porteurs d'un message ?
La SF n'est pas un divertissement, c'est la littérature la plus importante du XXe siècle ! Il y a plus de littérature dans trois lignes de Philip K. Dick que dans toute l'œuvre de Marguerite Duras. La littérature, ça doit être la vérité, la beauté. Un message ? Pas du tout. Au contraire, nous sommes des antennes de réception. Je parle des vrais écrivains comme Amélie Nothomb, aucune pose chez cette fille. Une vraie punk. Un cratère d'intelligence. Aujourd'hui en France, la littérature, c'est soit la pornographie, soit Marc Levy et le néosentimentalisme politico-humanitaire. C'est quand même grave ! Je me sens de moins en moins un écrivain français, mais plutôt un écrivain nord-américain de langue française.
Vous ne vous sentez plus français ?
Il y a comme un phénomène physiologique quand vous vivez en Amérique, le vieux monde a tendance à s'estomper. Là-bas, c'est vraiment le nouveau monde, une coupure radicale. Quand vous êtes américain, vous êtes un Européen accompli, car l'Europe unie existe : elle est en Amérique.
Votre livre se termine sur un espoir : l'annonce d'une troisième humanité, presque un happy end ?
C'est un livre catholique futuriste. L'espérance tient dans l'attente du second avènement du Christ. Happy end ? Il y a quand même sept milliards de morts pour une poignée de survivants. Reste l'espérance chrétienne d'un retour.
Votre personnage principal, Gabriel Link de Nova, l'enfant à la guitare, est-il une sorte de Jésus rocker, un sauveur de l'humanité ?
Plutôt un prophète armé d'une guitare électrique. C'est un saint Jean-Baptiste, il annonce le Christ.
Qu'est-ce que votre baptême, il y a deux ans, a changé dans votre vie ?
Tout, et notamment la rédaction de mes deux derniers livres.
Continuez-vous d'écrire votre journal ?
Le troisième doit être publié en janvier. Il est probable que j'arrête après les pamphlets. Je n'aurai plus rien à ajouter.
Suivrez-vous le tournage de Babylon Babies, par Mathieu Kassovitz ?
C'est pas mon boulot. Ils ont acheté les droits. L'adaptation de La Sirène rouge m'avait un peu déçu.
Vous vous déclarez catholique, pro-occidental, proaméricain et pro-israélien…
Oui.
… et vouloir voter pour Philippe de Villiers aux élections présidentielles.
Je voterai probablement pour de Villiers au premier tour. Ceux qui ne sont pas contents tant pis, et probablement pour Sarkozy au second tour, même si c'est quelqu'un en qui je n'ai pas entièrement confiance. De Villiers, ce qui me plaît chez lui, c'est qu'il sauve l'honneur de la politique française. C'est un catholique avoué, républicain par force. Je suis d'accord avec lui pour que la Turquie n'entre pas dans l'Europe. L'islamisation de l'Europe a commencé. Les islamistes le disent eux-mêmes que c'est dans leur programme, mais quand on dit ça, on se fait traiter de paranoïaque !
On vous prête un projet de livre sur le milieu de l'édition en France ?
C'est une blague. Je me fous totalement du milieu de l'édition française.
Et vos lectures actuelles ?
Blanchot, Bataille, Borges, les pères de l'Église et toujours Nietzsche, je l'ai lu tellement de fois que c'est comme s'il était à côté de moi.
Qu'est-ce que vous racontez à votre fille ?
J'ai failli écrire une histoire pour elle. Mais à 11 ans, c'est un être autonome. Elle a son propre imaginaire. La seule relation entre elle et moi, c'est l'amour.
« Duns Scot, Cantor et Rock n' roll… »
Propos recueillis par Benoît Gousseau et Jean-Baptiste d'Albaret, La Nouvelle Revue Universelle, n° 5, juillet-août-septembre 2006, p. 104-118.
Maurice G. Dantec vient de publier son sixième roman, Grande Jonction, chez Albin Michel qui l'accueille depuis que les trop « littérairement correctes » éditions Gallimard puis Flammarion ont refusé d'éditer le tome III de son journal, Le Théâtre des opérations. Il est, à ce jour, l'écrivain qui dérange le plus. Non seulement son talent renvoie bien des plumitifs couronnés par Saint-Germain-des-Prés ou la rue de Valois à ce qu'ils n'auraient jamais dû quitter, le narcissique clavier d'ordinateur qui leur sert de psy, mais son itinéraire intellectuel et spirituel ose s'aventurer hors les « chemins tracés » par la République des Lettres, cette nébuleuse économico-médiatique qui ne sait plus faire ses choux gras que de la vulgarité redondante des « jeunisme », voyeurisme et « spontanéisme », décrétés parangons de la créativité.
Loin de ces tumultes, Maurice G. Dantec construit, livre après livre, une œuvre poétique et littéraire qui remonte les berges molles de la pensée contemporaine, comme un mascaret, poussé par une puissante marée, balaie de son eau frémissante les vases d'un fleuve endormi.
Écœuré par le « mensonge français » d'un pays qui ne cesse de s'autoflageller pour mieux se métisser dans une « culture plurielle » aux frontières mal dessinées, ce fils de militants communistes, passé par le trotskisme, le rock et le punk, avant d'entrer en littérature et de se faire baptiser dans l'Église catholique romaine, a choisi de vivre à Montréal. De passage à Paris, il a accepté de se confier à la nouvelle Revue Universelle dont il admire le fondateur, Jacques Bainville. Ce fut finalement une longue conversation à bâtons rompus autour de son dernier roman.
Ma première réflexion sur Grande Jonction est d'ordre romanesque : quand je suis arrivé à la fin du livre, je me suis aperçu que je l'avais déjà lu entièrement après la première page. Dès cette première page, il y a tout. Est-ce un procédé littéraire ?
C'est comme dans la plupart de mes livres. Mais non, il ne s'agit pas d'un procédé. Je ne sais rien de la fin de mes romans avant de les commencer. Le livre se construit par « explosions » successives. Donc c'est comme dans le big-bang, la première page contient déjà tout. Ensuite ne vient qu'un développement du paradigme posé. Le « big-bang » initial crée un monde et le travail du romancier est d'explorer ce monde, pour lui-même. Quand j'ai commencé à penser Grande Jonction, j'étais en train de terminer le roman précédent, Cosmos Incorporated, et j'étais pris dans une sorte de piège. Je voyais bien que Cosmos Incorporated ouvrait sur un après : la chute de la machine qui allait entraîner la chute de l'humanité. Je ne pouvais pas laisser cette chute comme une simple ellipse composant les vingt dernières pages.
Il y a une filiation évidente entre les deux romans…
Oui, mais je en voulais surtout pas que le lecteur de Grande Jonction se sente obligé d'avoir lu préalablement Cosmos Incorporated pour comprendre. Je me suis dit qu'il fallait que je trouve le mécanisme qui lui permettrait de lire Grande Jonction de manière autonome, même si j'ai cousu des points de sutures entre les deux livres. Je ne voulais pas écrire une saga, au sens classique, mais d'une certaine manière il m'était impératif de poursuivre le récit : il y a la chute de la machine à la fin de Cosmos, mais que se passe-t-il quand la machine meurt ? C'est le prodrome autour duquel j'ai construit mon nouveau roman.
Cosmos Incorporated avait une couleur plus scientifique que Grande Jonction. Cette fois, vous investissez le domaine théologie et vous posez les enjeux méta-poétiques de l'humanité. L'omniprésence de Duns Scot est une première dans un roman français et va en surprendre plus d'un… Comment ce théologien écossais du XIVe siècle est-il arrivé dans une histoire qui se déroule à la fin du XXIe siècle ?
Quand j'ai commencé à travailler ce roman, je ne connaissais Duns Scot que de nom, même si je possédais un de ses ouvrages dans ma bibliothèque. Je n'aborde jamais un roman en terme de story board, je ne fais pas de plan. Je préfère composer un tableau à double entrées dans lequel j'entre des données. C'est sans doute pour cela que je suis souvent qualifié d'écrivain « cyber punk ». Puis le roman travaille dans ma tête. En l'occurrence, je suis ici sur « l'après machine », la chute de l'empire humain. Que se passe-t-il quand l'humanité est devenue elle-même « la » machine, entièrement co-machinisée et universelle ? Qu'arrive-t-il quand les technologies elles-mêmes se mettent à s'effondrer, quand l'homme, devenu lui-même une semi-technologie, est mis en danger par la chute de la machine, non pas accessoirement, mais organiquement ? J'ai relu Deleuze, qui est, comme vous le savez, un peu mon fil conducteur. Précisément, Deleuze parle de Duns Scot. Il a fait une thèse sur Duns Scot, comme Heidegger, d'ailleurs. J'ai donc lu le Prologue de l'ordinatio qui était dans ma bibliothèque. Parallèlement je commençais à m'intéresser à Nikola Tesla, à ses théories sur l'électromagnétisme et la lumière. De Nikola Tesla j'en suis naturellement arrivé à Cantor. J'ai perçu une collusion entre Duns Scot et Cantor, à six siècles de distance. Cantor, mathématicien matérialiste, casse le moule aristotélicien du, comme il dit, « faux infini numérique » en inventant l'ensemble des nombres transfinis. À six siècles de distance, il y a d'un côté un théologien franciscain et de l'autre côté un mathématicien russo-américain. Duns Scot se situe dans la continuité de Bonaventure et de saint Thomas d'Aquin. Il a résolu un problème, mais malheureusement, comme toutes les personnes qui résolvent des problèmes, il en a soulevé plus encore. Il a notamment provoqué la réaction nominaliste qui, pour moi, est la pire des choses qui ait pu arriver à l'histoire médiévale puisque, précisément, c'est le nominalisme qui a tué le Moyen Âge, arasé la pensée médiévale et inventé le rationalisme moderne. Erreur que Duns Scot a refusée ce qui lui fait trouver un équilibre presque parfait entre la notion d'Universaux défendue par saint Thomas et l'approfondissement du Singulier. Son coup de génie a été de dire : non, la singularité n'est pas inconnaissable, au contraire elle est connaissable par nature. C'est le singulier qui est connaissable. Ce n'est qu'ensuite qu'arrivent Guillaume d'Occam et compagnie qui affirment : « Seul le singulier est connaissable », donc les Universaux ne sont que des mots.
Selon vous, Duns Scot ne démolissait donc pas les Universaux, il développait une controverse à leur propos ?
Exactement, il n'a jamais nié les Universaux, il les discutait et il montrait comment ils pouvaient se « combiner » avec les singularités. Il y est parvenu, que ce soit dans le Prologue de l'Ordinatio ou dans ses autres ouvrages. Pour moi, le choc a été de me rendre compte qu'à six siècles de distance un mathématicien d'élite allemand d'origine russe et un anglo-écossais franciscain de l'an 1300 m'apportaient la démonstration que la pensée n'est pas de l'ogre de la chronologie linéaire. Il y a des trous et des saillies dans l'histoire. Il a fallu six siècles d'effondrement rationaliste pour ce que ces deux hommes communiquent et nous communiquent cette vérité. Aujourd'hui, je ne peux plus penser l'homme autrement qu'à travers la théologie de Duns Scot. Voilà un intellectuel capable de faire progresser, au XIVe siècle, la notion d'infini, capable de montrer que l'individu, parce qu'il est indivisible, est forcement ce qui divise tout et donc qu'il est aussi une image transitée de Dieu qui est l'ultime diviseur de tout, puisque la création s'opère par divisions successives. Je comprends qu'à l'époque il ait été traité d'idiot… Dans le nord de l'Angleterre, le mot « Duns » est encore synonyme d'idiot.
Création du monde par division, dites-vous… Place prépondérante de la lumière pour sauver l'homme… Lumière contre la chute à la fin de votre roman… La vie créée par lumière soustractive ?
Pourquoi Dieu crée-t-il le monde par division ? Il ne peut pas faire autrement puisqu'Il est tout. C'est précisément là que Cantor et Scott se retrouvent. Ils disent : l'ensemble des entiers naturels d'Aristote, je simplifie, c'est une vaste rigolade, car qu'est-ce que cet ensemble infini qui n'est jamais fini ? L'idée d'Aristote, c'est que l'ensemble des entiers naturels est infini puisqu'on peut toujours faire : + 1. Mais Duns Scot arrive et dit : l'infini, ça n'est pas cela ; l'infini c'est l'infinité « in actu », actualisée. C'est-à-dire quelque chose à laquelle on ne peut rien adjoindre puisqu'elle est tout. Scot prend le problème à rebours en replaçant l'infini dans une perspective ontologique. Il comprend que ces notions « inifinitaires » sont essentielles pour penser l'individu. Le Moyen Âge a redécouvert Aristote par le biais de certains penseurs arabes, notamment Averroès, qui paradoxalement, à mon sens, sont les inventeurs du rationalisme moderne… Mais, pour en revenir à Grande Jonction, comme je voulais aussi écrire un livre sur la musique et l'individuation des machines, Duns Scot me permettait, avec son individuation humaine, d'établir un parallèle.
Nous y voilà… Votre livre est d'abord un grand roman, un roman de « science-fiction », ou plutôt d'anticipation ou de politique-fiction. Les idées n'y sont qu'un décor, même si ce décor est le moteur de l'action. Au cœur du roman, comme dans toute bonne création littéraire, il y a d'abord un héros, un héros au sens le plus romanesque, puisqu'il a un destin. Or ce héros a deux caractéristiques : il est guitariste de rock et il n'est pas tout à fait humain…
Le rock c'est ma culture. Mais cela faisait longtemps que j'essayais de comprendre quel était le rapport entre cette musique et la machine, la machine électrique. Ce roman m'a permis de résoudre le problème. Comme le dit Ernest Hello, l'électricité « c'est la matière qui voudrait avoir une extase ». Ce mot d'extase me rappelle Heidegger, c'est-à-dire « ex-stase ». Donc, l'électricité c'est le principe d'individuation de la machine, et le rock est sa musique. Le rock n'est pas autre chose que la musique de l'électricité. Sans électricité le rock n'existe pas. L'électricité devient du coup le paradigme référentiel de la musique du XXe siècle dans le sens où toutes les machines dont on se sert pour jouer Jumping jack flash, ou ce que vous voudrez, sont d'origine militaire : les amplificateurs, les radios, les transistors, tout découle des recherches pour l'armée américaine. En outre, le rock arrive comme une espèce d'ombre projetée par l'éclair d'Hiroshima, c'est-à-dire que c'est une musique tragique, même si elle prend des allures de divertissement. Par exemple, et en dehors des aspects politiques de sa démarche, quand Jimmy Hendricks joue à sa façon l'hymne américain en pleine guerre du Vietnam, il le transforme en une bande son d'Apocalypse now. L'électricité sert d'interface entre la machine et l'homme. J'ai commencé à travailler sur ce type de concept. Je me suis dit : électricité, donc lumière. Puis j'ai procédé en suivant mon intuition. La lumière n'est peut-être pas ce qu'on en dit au quotidien. Je me suis replongé dans des livres de mécanique quantique. La lumière est de l'ordre d'un état psychique de l'univers et donc elle est une frontière. Au-delà de la lumière est la meta-lumière et donc l'infinité. La vitesse de la lumière ne peut être dépassée que de manière infinie. On ne pourra jamais atteindre 300 000 km/seconde + 1, à la Aristote. Mais si on le fait, on atteint la vitesse de la création de l'univers, création opérée dans l'instantanéité. Même si je ne voulais pas écrire un roman intellectuel ou sur l'infini ou sur Duns Scot, ces cheminements me semblaient des outils indispensables pour décrire le monde que je voulais décrire, celui de l'après machine. Je ne pouvais plus reculer. Avant même le début du roman je me suis dit que chaque tête de chapitre porterait le titre d'un album ou d'une chanson appartenant au monde du rock. J'entrais bien ainsi dans le tragique de mon temps, mais sans y tourner en rond… Mes réflexions sur la lumière me laissaient en prise avec l'universel.
Parlons rock et électricité… Gabriel Link de Nova, ce héros au prénom d'archange, semble aimer faire hurler ses riffs sur une guitare Gibson modèle Les Paul, plutôt que sur la traditionnelle Fender Stratocastere des rockers. Cela a-t-il un sens ? Est-ce un élément constructif du personnage de Link, cet adolescent de douze ans qui, au premier chapitre, laisse l'accord final de Jean Genie de David Bowie s'évanouir « dans l'oscillation brûlante du feedback », ou est-ce, de votre part, un souvenir personnel, une coquetterie d'ancien guitariste ?
C'est un peu les deux. La Les Paul est la première guitare électrique moderne. Elle a été la première guitare électrique qui ne se présentait plus avec une demi-caisse de jazz. Son corps est plein et elle est entièrement électrique. C'est pour elle que le constructeur Gibson a inventé, à la même époque, le micro à double bobinage qui crée un son vraiment massif. Cela dit, la Stratocastere d'Hendricks aurait très bien pu faire l'affaire…
Continuons, si vous le voulez bien, à nous pencher sur les protagonistes de Grande Jonction. Ce sont des personnages qui évoluent avec la narration comme dans tout grand roman. À côté de Link, le garçon à la main qui guérit, il y a Youri McCoy et Chrysler Campbell, sortes de tueurs à gages métaphysiques. Il y a Judith Sévigny « longs cheveux d'un noir soyeux parcourus de mille reflets ondoyants sous la lumière des astres », au « visage d'ivoire à peine teinté d'un glacis ambré » avec « cette bouche, dont le rose laqué d'un orange feu ne demande aucune artifice ». Elle est l'incarnation de la féminité, toujours présente mais en même temps très discrètement, « comme une oasis de beauté qui fait redoutablement sens dans un univers totalement dépourvu des deux ». Et puis, il y a des personnages secondaires qui, comme dans Balzac ou Dumas, font avancer l'action : le shérif Wilbur Langlois, « un bloc de roche tout juste humain », le Professeur, spécialiste de Duns Scot, Milan Djordjevic, savant chargé « d'élaborer une réponse théorique à la hauteur des défis posés à la dernière Humanité par la Chose », Pluto Saint-Clair, l'exécuteur des basses œuvres de l'évêque de la nouvelle religion, cet « Androïde-Pape de l'Anome », etc. La présence suivie de multiples personnages est-elle capitale dans un roman ?
Link de Nova apparaissait à la fin de Cosmos Incorporated. C'était l'enfant du tueur Plotkine et de l'ange féminin, Viviane Mac Nellies. Il est donc homme sans être homme. Il est une fiction tout en étant réel. Il n'est pas humain tout en étant « sur-humain » au sens nietzschéen. Il est à la synthèse disjonctive du naturel et de l'artificiel. Link de Nova a incorporé la lumière et l'électricité, c'est ce qui lui donne ce pouvoir de guérison des machines et donc de guérison des hommes, puisque les hommes sont devenus des semi-machines. Tous les autres personnages sont pourtant aussi importants que lui…
Ce qui est fondamental dans votre roman, ce qui me semble en être la clé, c'est le symptôme de la maladie qui tue l'homme : ce langage qui est peu à peu contaminé par le numérique. Les personnages se mettent à émettre des 0 et des 1 dans leur discours. Petit à petit, ils ne parlent plus qu'avec des 0 et des 1… et ils finissent par en mourir.
C'est tout à fait cela. À partir du moment où la machine meurt et qu'elle entraîne avec elle l'humanité dans sa mort, ce n'est pas compliqué : l'homme va mourir comme une machine. Il va mourir en se transformant lui-même en une espèce de périphérique digital de la machine qui disparaît en lui. De fait, son propre langage, qui pour Duns Scot est l'un des éléments cruciaux de l'individuation humaine, au lieu de disparaître complètement, se transforme en modem, ce qui est en fait bien pire.
Il faut donc gagner par le langage ?
Oui, car le langage est relié à la lumière et à la musique.
Il y a comme une transcendance du sujet qui se produit à un moment. Au début, c'est la musique qui guérit. Mais, plus loin, et pour sauver totalement la part humaine de l'homme, vous faites passer les moyens du salut de la musique à l'écriture. Un des personnages, le père de Link de Nova, doit écrire un roman, « le » roman, qui sauvera la bibliothèque où sont conservés le langage et le savoir. Il ne s'agit d'ailleurs pas de n'importe quelle collection de livres, puisqu'il s'agit de la bibliothèque du Vatican rapatriée secrètement dans le dernier territoire des hommes après que Rome fut tombée et mise à sac lors du troisième « grand Djihad »… Pour vous, le roman est-il d'un ordre supérieur à celui du rock ?
Non, il est à côté. Le rock va permettre, par la musique électrique, de redonner une âme, c'est-à-dire une individuation, une cohérence interne aux machines ; tout comme aux organes humains qui ne sont plus que des machines autonomes. Mais après cette entité post-machinique, qui est l'ultime mutation de l'humanité et qui veut se débarrasser de tout ce qu'a fabriqué l'humanité antérieure, après qu'elle a détruit les machines et anéanti 4 ou 5 milliards d'êtres humains, après qu'elle a vaincu l'Histoire et préparé le règne de l'Antéchrist, il ne reste que les livres. Quand la Chose se met à détruire les livres, à les effacer, Link et ses camarades se rendent compte que le rock ne suffit plus. Ils ont alors une idée : pour sauver les livres, il faut passer par le livre. Le livre est l'immédiat, il ne passe pas par le média : quelqu'un vous parle dans la tête tout de suite. Ils comprennent donc que pour sauver la bibliothèque, il faut écrire le récit de ce qui est en train de se produire dans le monde.
Sans rien dévoiler du dénouement de votre roman, disons qu'à la fin de Grande Jonction le monde est à la fois sauvé et pas sauvé. C'est une histoire pessimiste ?
J'ai la mauvaise habitude d'écrire des livres qui, lorsqu'ils se terminent, ouvrent directement sur un prochain. Il est donc très probable qu'il y aura une suite… Non, le monde n'est pas sauvé. Il reste un Territoire dans le territoire. On ne sait pas combien de temps cela va durer. Mais il y a une espérance, une espérance dans l'attente. Le personnage de Youri McCoy, qui est le personnage central du roman, devient chrétien. C'était important pour moi puisque cela m'est arrivé ! Je voulais retranscrire ce que pouvait être pour un jeune garçon de 24 ans la découverte du christianisme au moment où le Vatican est détruit et où il n'y a plus de chrétiens sur la terre sinon une petite communauté recluse dans son territoire. Youri, au départ, est un personnage sans foi ni loi.
Oui, c'est un personnage de western qui, tel un John Wayne dans un film de Ford, évolue d'un point de vue moral. D'ailleurs ce roman est un western, non ?
C'est exactement ce que j'ai voulu faire. C'était la seule chose consciente que j'avais êtes tête en commençant à écrire. On m'a reproché pour Cosmos Incorporated un langage trop technique, trop « techno ». J'avais pourtant pris le langage de la machine, ce qui me semblait cohérent. À la fin de Cosmos, le monde décrit s'effondre. Je me suis donc dit que je ne pouvais plus utiliser ce type d'écriture disons « verticale », mais qu'au contraire j'allais tout rabattre sur l'horizon américain, sur l'espace. Je me suis donc débrouillé pour que, dans Grande Jonction, l'horizon soit toujours indéfini, toujours remis à plus tard.
Oui, ces espaces du Territoire sont comme ceux des films de Howard Hawks, Henry Hathaway ou Sam Peckinpah…
Vous m'avez bien compris. Je suis un amateur inconditionnel d'Howard Hawks. De John Ford et de Sergio Leone également. Je me suis donc concentré sur ce qui est peut-être l'autre personnage central du livre : le Territoire et sa loi. Ce Territoire est dirigé par le dernier homme de loi du monde, le shérif Langlois, puisque le monde entier n'est plus qu'un immense chaos. Les guerres de religion qui ont traversé le XXIe siècle se sont éteintes. Les grands groupes religieux armés ne sont désormais que des hordes vaguement gangstérisées qui ne croient plus vraiment à leurs idéologies d'antan : quand la machine meurt et que plus rien ne marche, les guerres s'éteignent d'elles-mêmes. En revanche, revient alors le conflit clanique, tribal et quasi animal d'avant l'invention de la politique et de la cité. C'est de cela que se protège le Territoire. Le Territoire et la Loi ne faisant qu'un, c'est un peu le retour à une antiquité judaïque. C'est une sorte de royaume d'Israël au sens biblique. Il y a un espace, un peuple et une Loi. Mais plus profondément encore, le rapport entre le Territoire et le shérif est la colonne vertébrale qui maintient tout l'édifice. Et au cœur de cet édifice est une religion d'amour et de liberté : le christianisme. Au lieu d'entrer en conflit, la loi et la religion se superposent constamment. Ce territoire est aussi une espèce de Bound Town comme dans les westerns. C'est une ville frontière : il y a le Territoire du shérif et le reste du territoire. Je n'ai pas hésité à y aller à fond sur le côté western. C'était une possibilité de montrer le rapport à l'espace qu'ont les Nord-Américains, notamment à travers les westerns, quelque chose que je ne trouve plus du tout en Europe. En fait, pour les Nord-Américains, l'histoire c'est de la géographie, j'ai donc essayé d'assimiler cette réalité.
Même sous la forme d'un western, quelle fonction as, selon vous, le roman, pour un lecteur aujourd'hui ?
J'aimerais que le roman soit une machine à remettre la pensée en action. Fonction qu'il a eue dans un passé encore récent. Intrinsèquement, cela peut toujours fonctionner même si l'évolution de notre société fait que le romancier est devenu un prescripteur social et un moralisateur.
Avec Grande Jonction, nous sommes dans un roman sans ego, sans retour sur soi. Voilà un livre qui, plus qu'un miroir narcissique, est un révélateur de notre état… en l'état de notre monde.
Georg Trakl, le poète, disait que tout authentique poésie est impersonnelle.
Votre roman est écrit à la troisième personne, alors qu'aujourd'hui c'est quasi interdit… Il n'y a que Youri qui dise « je ». Rien que cela distingue votre écriture de beaucoup d'autres.
Il m'est déjà arrivé d'utiliser le « je », notamment dans Villa Vortex. Mais qu'est-ce que le « je » ? Quel rôle a-t-il à jouer dans le jeu littéraire ? Faire du nombrilisme ? Alors, il n'a aucun intérêt. Les auteurs qui ont utilisé le « je », par exemple Kafka ou Thomas Mann, l'on fait pour le dépasser. « Je est un autre » dit la vieille antienne. Des que « je » devient « moi », on n'est plus dans la littérature.
Est-il encore possible, aujourd'hui, d'écrire des romans ?
Non seulement c'est possible, mais c'est de plus en plus nécessaire. Plus le monde est violent, plus le monde occidental est attaqué, plus nous devons continuer à être la civilisation qui avance. C'est nous qui faisons le monde, c'est nous qui l'avons fait, pas les errants de l'histoire incapables de faire pousser un cactus dans le désert !
Puisque le ton est donné, qu'en est-il du troisième tome de votre Journal ? On l'attendait pour la rentrée…
La date de parution n'est pas déterminée, mais, grosso modo, il devrait sortir au début de l'année prochaine, en janvier ou février. Albin Michel a eu le courage de racheter Le Théâtre des Opérations à Flammarion. Il n'y a eu aucune réticence sur le contenu. Cette date a été choisie car, après Cosmos Incorporated, il valait mieux enchaîner directement sur Grande Jonction, continuer un peu à me reposer sur le socle du romanesque avant de sortir la mitrailleuse lourde. C'est, je l'avoue humblement, une stratégie marketing. Mais le Théâtre III est prêt à sortir. Depuis le temps ! J'ai déjà écrit deux préfaces et deux postfaces. Évidemment, c'était initialement un journal qui couvre l'année 2003. Il s'est passé des choses depuis. La guerre en Irak, l'Afghanistan, la guerre sunnites-chiites… que je prévois. Finalement, le livre a doublé de volume !
Certains mauvais esprits disent qu'avec les guerres civiles musulmanes l'islam s'occupera moins de nous. Est-ce bien vu ?
Les gens qui disent qu'il n'y a pas d'armes de destruction massive en Irak, mentent. L'armée américaine en l'espace de deux ou trois ans, a découvert 2000 ogives d'obus avec des traces de sarin ou de VX. Cela pose maintenant des problèmes de santé à l'armée américaine. Les types qui gardent les stocks connaissent des problèmes de santé grave. Il y a donc des indices très concordants confirmant la présence d'armes de destruction massive en Irak. L'autre point important, c'est que la réalité n'était pas ce que l'on a lu ici et là : le régime de Saddam Hussein n'était pas seulement un régime totalitaire mais aussi un régime mafieux et clanique. Mais, une fois débarrassées de leur dictateur, les Irakiens se sont empressé de se livrer à une guerre civile avec des attentats terroristes. À mon sens cela confirme que l'islam est totalement incompatible avec la démocratie… Par démocratie, j'entends liberté des droits politiques.
Benoît XVI a déclaré que ne peut se prétendre démocrate qui n'est pas en phase avec la vérité. Par exemple, dit-il, si on ne considère pas la vie comme sacrée, il n'y a pas de démocratie possible.
Cela rejoint ma définition de la démocratie. La démocratie c'est un mot-valise, comme « fasciste ». Si on n'est pas d'accord avec quelqu'un, il suffit de le traiter de « fasciste ». Ça marche à tous les coups ! Comme le dit Yann Moix avec beaucoup d'humour dans son dernier roman : « Je vais porter plainte pour fascismophobie ». Ainsi, la démocratie, entendue je le répète comme la liberté des droits politiques, la possibilité d'exprimer des idées, atteint très vite ses limites dans les pays qui ont été convertis à l'islam. On ne peut que constater la chose avec tristesse. En Irak, on abat un dictateur qui a tué 300 000 chiites, sans parler des kurdes, et maintenant, ils s'étripent tous. L'Occident a perdu une certaine forme de réalisme politique. Il a perdu le contact avec le réel et plus personne ne sait, ou ne veut savoir, ce qu'est réellement l'islam. Tout le monde s'en fout ! Le conflit ancestral entre sunnites et chiites, c'est autre chose que la problématique catholiques-protestants, croyez-moi !
Il y a deux islam ?
Oui, l'islam est duel. Par nature, car l'islam est une hérésie qui est manichéenne et dualiste.
Et le dialogue inter-religieux ?
Je le crois possible. Mais avec des musulmans, pas avec l'islam qui, pour moi, n'est pas une religion mais une idéologie religieuse. Une religion, comme son nom l'indique est quelque chose qui relie, et non qui coupe les têtes. Benoît XVI a fait un bilan des quarante-cinq dernières années d'œcuménisme et il s'est rendu compte qu'ont peut probablement parler avec les protestants et les hindous mais difficilement avec l'islam. C'est pourquoi le dialogue avec l'islam a été placé sous l'angle culturel et non plus religieux. Ainsi, je ne dirais pas comme Houellebecq que l'islam est la religion la plus c… je dirais plutôt qu'il n'est pas une religion. C'est la première idéologie totalitaire. Une idéologie encore messianique, car la modernité et le rationalisme n'y ont pas encore percé, mais il s'agit avant tout d'un syncrétisme de toutes les hérésies judéo-chrétiennes de l'époque de sa naissance. En lisant le coran et le hadiths on se rend compte des influences mêlées du nestorianisme, de l'adoptianisme, du gnosticisme et du marcionisme. En fait, l'islam n'est que cela. L'histoire de Mahomet est également édifiante. Il a été élevé par un parent, ancien membre de l'église nestorienne qui l'a initié aux hérésies en cours. Pour moi, Mahomet est le premier « gourou », au sens moderne. C'est une sorte de super Raël qui a plus ou moins élaboré une construction intellectuelle en reprenant à son compte toutes les hérésies judéo-chrétiennes, notamment celles qui refusaient l'Incarnation, la Sainte Trinité, etc. Ces hérésies qui existaient depuis l'an 300 avaient été battues en brèche par les théologiens chrétiens et par les autorités ecclésiales. Le dialogue inter-religieux avec l'islam n'est donc pas possible à mon sens, tout simplement parce que l'islam n'est pas une religion.
Dans Grande Jonction, ce n'est plus l'islam le danger, même s'il figure en toile de fond. Le danger vient plutôt d'une sorte de raëlisme du futur. Pour vous l'islam est-il condamné à terme ?
Je le pense. Au même titre que toutes les sociétés qui se sont appuyées sur le nihilisme. Quand on sera vraiment dans l'après-Histoire annoncée par Philippe Muray, l'islam sera au bord de son autodestruction. Un exemple : je pense que si l'Iran veut sa bombe c'est plus pour se protéger des sunnites que pour attaquer l'Occident, en dépit des rodomontades de son président. L'Iran est le seul pays chiite de la région. Il est encadré par le Pakistan sunnite, qui a la bombe, et l'Irak qui n'est pas encore tout à fait chiite…
Nous en reparlerons début 2007, avec la parution du Théâtre des Opérations III… Peut-être serez-vouss de retour à Paris pour sa sortie ?
Je ne crois pas… Mais venez me voir à Montréal. Je serai toujours heureux de recevoir les journalistes de La Nouvelle Revue Universelle et de Politique magazine.
« "J'ouvre la bouche pour ceux à qui on l'a scotchée" »
Propos recueillis par Elisabeth Gilles, Le Matin, 11 septembre 2005, p. 81.
Enquête policière, science-fiction, roman métaphysique, politique, « Cosmos Incorporated » vient de sortir et suscite la polémique. Interview de son auteur, Maurice G. Dantec, homme de droite, fasciste disent certains. Écrivain en tout cas. La voix calme et douce, mais les propos font des vagues : Maurice G. Dantec se définit lui-même comme un « auteur nord-américain de langue française », s'identifiant à cette partie du monde « qui a su faire naître des héros pendant que les autres peuples se tournaient les pouces ».
Il a 10 ans quand Armstrong marche sur la lune, mais les exploits des Russes dans ce domaine suscitent aussi toute son admiration. Invité récemment à l'émission de Thierry Ardisson « Tout le monde en parle » (France 2), l'homme est en colère. Né en 1959 à Grenoble, il a grandi à Paris : parents communistes, père journaliste scientifique, mère couturière « qui travaille quatorze heures par jour ». Il vit désormais à Montréal, considère qu'il n'y a pas de place pour lui en France, ce pays « qui aurait pu être une grande idée mais choisi la petitesse ».
Plusieurs personnages sont baptisés à la fin de « Cosmos Incorporated ». Vous-même l'avez été récemment. Pourquoi cette démarche ?
Parce que j'ai la foi. Elle ne m'est pas tombée dessus d'un coup, c'est un long chemin qui ouvre à une nouvelle vie, dans la lumière du Christ. Et qui suppose un changement radical, y compris quant à la manière concrète de vivre sa vie. Je ne suis pas un paroissien modèle, mais je prie quotidiennement, je vais à la messe et communie dans la mesure du possible.
Le salut du monde passe-t-il par la religion catholique ?
Il passe par le Christ. L'Église catholique romaine n'est qu'une dimension temporelle. Mais je ne suis pas prosélyte, mon action est personnelle. Je cherche à retoucher du cœur la lumière christique et je crois à l'incarnation de Dieu dans le Christ. L'homme d'aujourd'hui comme celui d'hier est né de la Chute et doit aller jusqu'au bout de la dynamique instaurée par la chute, d'où la crucifixion. Mais il existe un contre-monde : la résurrection. Le salut du monde ne viendra en tout cas pas du tas d'immondices qu'ils sont en train de nous préparer.
Qui est en train de nous préparer un tas d'immondices ?
Le genre d'individus invités sur le plateau d'Ardisson, dont j'ignorais qu'ils seraient présents et par qui je me suis fait piéger. Des spécialistes en communication politique qui font partie des hautes sphères du pouvoir économique en France, genre Christophe Lambert, directeur de Publicis, auteur de « La société de la peur ». Sa théorie, c'est que, si la France a peur, c'est à cause des journalistes ! En fait, lui-même redoute les éclairs de vérité surgissant de mon discours. Il tient à se distancier non du discours théologique, auquel il ne connaît rien, mais du discours sur le grand Djihad. Idem avec les soi-disant intellos comme Malek Chebel, venu pour « se faire Dantec », qui, dans le rôle de l'Arabe modéré, a commencé son speech sur le danger d'accentuer la peur. Si vous parlez de ce qui se passe, vous êtes accusé de susciter la parano. « La vérité est un scandale permanent », a dit Bernanos, elle doit donc être tue.
Nous voilà dans le cas de figure : les chrétiens et les juifs sont les bons, les musulmans les méchants ?
D'abord, il ne faut pas confondre musulmans et Arabes. Dans le monde musulman, les Arabes sont minoritaires. Ensuite, j'ai eu trois minutes chez Ardisson pour expliquer que je fais une différence entre une personne et une idéologie. Entre un musulman, un militant islamique et un islamiste. Reste que les Arabes sont des destructeurs de civilisation, ils ont précipité la chute de la civilisation chaldéenne, celle de Byzance et ont coupé l'Occident de ses racines.
Vous considérez-vous comme un provocateur ?
Non. À moins de considérer le mot dans le sens de « celui qui ouvre la bouche pour tous ceux à qui on l'a scotchée ».
On vous définit comme un homme de droite, voire un fasciste…
Droite et gauche sont des notions qui apparaissent à la Révolution française. Les hommes de droite sont alors ceux qui sont opposés à la décapitation du roi. À gauche, on était pour. Je suis un homme de droite, mais je ne situe pas sur le terrain de la République. Pas davantage sur celui de la monarchie : il n'y aura plus jamais de roi en France. Le seul règne à venir est celui du Royaume de Dieu. Quant au fascisme, c'est une invention de la gauche et de l'extrême gauche. Hitler était un socialiste, raciste et antisémite, qui a ajouté le terme nationalisme au nom de son parti.
Dans « Cosmos Incorporated », vous évoquez la fin de la science et de la technologie. Ce n'est pas vraiment une posture de droite, qui est souvent du côté d'une confiance inébranlable dans le progrès. Cela aurait plutôt un petit côté taliban…
Je ne me situe évidemment pas du côté du crétinisme criminel des talibans. Nietzsche, Heidegger, Günther Anders, le premier mari de Hannah Arendt, Foucault ont pressenti quelque chose à propos de la technologie et de la science. Heidegger parlait du temps de la « technique monde ». Quand toute transcendance, possibilité d'extase, d'élévation et de redressement de l'esprit humain – toutes choses qui seraient de l'ordre de la beauté – serait éradiquée. La technique devient alors la bête de l'Apocalypse, le temps des bêtes qui s'autodétruisent par autophagie. La technologie butera sur elle-même.
Mais l'homme, lui, pourrait survivre…
Impossible, car il y a un parallèle entre la fin de l'homme, pressentie par ces penseurs, et la fin de la technique. Homme et technique ne formeront bientôt plus qu'une seule entité biopolitique. Quand l'homme commencera à évoluer, le mouvement sera accéléré par la fin de la science et de la technologie. Les uns et l'autre buteront alors contre la transcendance. Bientôt, en physique comme en biologie, les découvertes qui ne rentreront pas dans le cadre modèle poseront tant de problèmes au monde immonde que les pouvoirs mettront en place un verrouillage de sécurité. Or le progrès est une dynamique. S'il n'avance pas, il recule. Nous allons donc vivre une préhistoire électrique. Quand le progrès entamera sa dévolution, l'unimonde humain fera tout pour sauvegarder les apparences. Et on continuera à propager l'idée que tout va bien et que l'important est le confort, tandis que nous assisterons en direct, comme à un spectacle, à l'autodestruction de l'humanité.
Finalement, il n'y a pas l'ombre d'un espoir ?
Il existe une porte de sortie, très étroite : le départ vers l'espace. Seule issue pour un petit groupe d'individus, qui, comme les pionniers de la vieille Europe des XVIIe et XVIIIe siècles, sont partis créer un nouveau monde avec leurs couilles et leur couteau pour tous bagages. À la fin du XXIe siècle, la désertification de la terre sera largement entamée. La fin de la technologie est la fin de l'homme mais aussi celle de la nature. Car le monde est un. Si la technologie régresse, les moyens de contrôler les conséquences logiques qu'elle a sur le monde naturel disparaissent. Déjà, la « technique monde », au sens de mégamachine, commence à s'autodévorer. Or, comme elle se substitue au monde, le monde se dévorera lui-même.
La science-fiction peut parfois être une caricature de la réalité…
En tant que genre, la SF s'est construite au cours du XIXe siècle. Les paradigmes étaient alors que, sauf accident historique, le processus historique inéluctable allait vers une accumulation des forces productives. Dans les décennies à venir, au lieu d'une accumulation, nous assisterons à un écroulement de cette dynamique. Mon livre est donc plutôt une sorte de rétro-science-fiction, puisque je postule l'inverse. Après un pic qui nous amènera aux environs de sept milliards d'habitants, la décroissance de la population commencera. Partout dans le monde, le mouvement est à la baisse, rares sont les pays où on fait encore quatorze enfants. Pis encore, on sait que le taux de spermatozoïdes potentiellement fécondants diminue constamment. L'ampleur du problème ne va pas tarder à nous apparaître.
« Maurice G. Dantec : "Je suis un catholique futuriste" »
Propos recueillis par Hubert Artus, L'Écho des savanes, n° 252, septembre 2005, p. ?.
Le match de la rentrée littéraire
Il n'y aura pas de match entre Houellebecq et moi, car il est beaucoup plus connu que moi ! Je pense que c'est l'écrivain français terminal.
Cosmos Incorporated, retour à la science-fiction pure
Dans mon processus de travail, mes romans se fabriquent contre les autres, et surtout contre le précédent. Un peu comme les bêtes de l'Apocalypse qui se dévorent les unes les autres. Ici, je voulais retrouver une certaine fluidité narrative, que j'avais eu dans Les Racines du mal, et retravailler ce que j'avais fait dans Villa Vortex. Je me suis toujours servi des propriétés des genres (thriller, SF) comme matériaux pour construire des machines de fictions particulières, pas pour faire de la SF ou du thriller. Quelque part, comme tu dis, c'est un retour au genre, mais pour le terminer !
Dantec et sa foi chrétienne
Je suis un catholique futuriste : je ne vois que la foi chrétienne pour nous empêcher de sombrer dans l'abîme. Je ne suis ni évangéliste ni prosélyte, mais pour moi, cette religion si vilipendée aujourd'hui est la dernière digue avant l'enfer. Mais, vu l'image qui était véhiculée de moi, je ne voulais pas faire un roman contre les musulmans, donc ce n'est pas un roman religieux. D'ailleurs, je n'ai rien contre les musulmans ou l'Islam ! C'est l'islamisme que je hais. J'ai même failli me convertir à l'Islam avant d'avoir la foi catholique ! Ce livre, comme les autres, essaie de statuer sur ce qui est au centre de mon travail depuis toujours : le nihilisme. Le Verbe et la Parole sont au centre de la Bible, mais ce sont aussi les cibles stratégiques de tous les totalitarismes ! Et les écrivains doivent se battre contre ça, surtout au temps de la télé et d'Internet, qui transforment la Parole.
Dantec et le Bloc Identitaire
Dans mes échanges avec le BI, j'ai voulu aller voir le Diable (auquel, chrétien, je crois) et aller voir un groupe encore pire que le FN. Et pourquoi n'aurais-je pas le droit de parler au pire ? Moi, je suis prêt à dialoguer avec Besancenot autant qu'avec de Benoist (théoricien de la Nouvelle Droite, ndlr). J'ai été naïf en les autorisant à publier ces correspondances, je croyais que ce serait confidentiel. Et badaboum, je me suis fait avoir. J'ai mis un an à m'en remettre.
Dantec : vrai réac ou posture
OK, je suis réac. Et je m'assume de droite, OK. Ce sera clair… Mais : le racisme, l'antisémitisme, l'islamophobie, toute forme d'« anti-ethnicisme » n'ont pas de place chez moi ! Je me considère comme un réactiviste plus qu'un réactionnaire.
« Interview de Maurice G. Dantec. Leçon d'alpinisme littéraire »
Propos recueillis par Amélie Petit, Evene.fr, septembre 2005.
Romancier culte et personnage aussi barré que peut l'être son oeuvre, Maurice G. Dantec nous rapporte du Canada un roman hybride, confus et fascinant : Cosmos Incorporated. Une interview pour se donner du courage avant l'ascension de la montagne.
De La Sirène rouge et des Racines du mal, que l'on a qualifiés à l'époque de cyber-polars, à Cosmos Incorporated, il semble que votre travail se rapproche de la science-fiction.
Il y a une évolution dans mon travail, c'est indiscutable, sinon je ferais toujours le même livre, ce qui serait sans doute un peu fastidieux pour le lecteur... Mais pour moi il n'y a pas de cases dans la littérature, pas de cellules dans lesquelles on peut enfermer les auteurs et les romans. La Sirène rouge, c'était plus dans ma tête une sorte de western post-urbain, Les Racines du mal, c'était déjà effectivement un polar neurocybernétique, si on veut, Babylon Babies, une sorte de transcontinental express génétique... Avec Villa Vortex je suis revenu au cœur même du trou noir qu'est la France, et avec Cosmos Incorporated, je fais jaillir de ce trou noir une source d'inspiration que l'on peut appeler science-fiction, mais qui est plus proche de la « speculative fiction », un terme que Jim G. Ballard avait inventé à l'époque pour décrire une fiction qui ne s'intéressait pas uniquement aux aspects anecdotiques de la technologie, aux gadgets et petits hommes verts, mais à l'impact que la technique avait sur nos existences. Il avait eu une phrase dans la préface de Crash qui disait : l'écrivain d'aujourd'hui a le choix, utiliser le langage de la technologie ou bien se taire. Ça explique aussi un certain nombre de partis pris stylistiques de ce livre.
Notamment l'utilisation pléthorique d'un vocabulaire futuriste ?
Oui. C'est-à-dire que pour parler du règne de la technique sur le monde, il faut utiliser son langage. Je le conçois, ça peut faire barrage à la lecture. Je sais que des lecteurs n'ont pas pu franchir les 5 premières pages. Tant pis : ce qui m'intéresse dans la littérature, c'est la cohérence, et donc, si je veux parler de la machine, et de sa genèse tout autant que de sa fin, il est évident qu'au début du roman je vais être au coeur de la machine, et donc utiliser son langage.
En quoi, comme le dit Günther Anders, que vous citez, « notre monde actuel, dans son ensemble, se transforme en machine » ?
Je crois que Günther Anders avait tout compris, déjà, dans les années soixante ; il n'y a pas grand chose à ajouter à ce qu'il dit, sinon à en faire une fiction. Je me suis demandé à quoi allait ressembler la fin du monde dans lequel nous vivons. Et en y réfléchissant, j'ai commencé à me faire une idée qui m'étonnait moi-même, à savoir que la fin de la technique n'allait pas ressembler à une explosion spectaculaire de type astéroïde, ou à une guerre nucléaire, ou même à une catastrophe écologique. La fin du monde de la technique, c'est la fin du monde de l'homme. Ça veut dire la fin du monde de la culture, mais aussi de la nature, et donc c'est le moment où la technique se heurte à son propre mur et retourne en arrière, repart à rebours. Le progrès continue sauf que c'est comme une bande magnétique qui se retournerait sur elle-même. Non seulement le message est affecté, mais le support lui-même l'est aussi. Le monde lui-même commence à se fissurer à ce moment-là. C'est plus une implosion qu'une explosion. C'était pas évident à décrire, sauf justement avec quelques sherpas, comme je les appelle, qui sont là un peu pour aider le lecteur, des gens comme Anders par exemple, qui permettent de situer l'affaire sur le plan métaphysique aussi.
En parlant de la nature qui refait surface dans les villes abandonnées par l'homme, vous écrivez : « c'était sans doute la dernière forme de liberté que la technique avait laissé à l'homo sapiens ; elle n'était pas dépourvue d'une certaine beauté tragique. » Est-ce l'esthétique de la vision apocalyptique qui vous attire ?
C'est un peu comme si la technique, au moment où elle meurt et nous entraîne dans sa mort, nous laisse comme un petit souvenir mélancolique de ce que nous avons été. Il y a quelque chose d'un peu tragique, dans cette destruction générale, mais aussi quelque chose de beau. C'est le paradoxe de l'iniquité. Même une guerre, ça peut être beau. L'explosion d'une bombe sur un bunker vu à la télé, bizarrement, oui, ça peut provoquer un sentiment esthétique. Ça pose un problème, mais c'est comme ça. Oui, ce sentiment esthétique s'impose. Ce n'est pas rationnel. Comme tout dans l'écriture, d'ailleurs, je crois… La vision d'une ville abandonnée par l'homme et reprise en main par une nature qui n'est plus la nature non plus, c'est quelque chose qui se situe dans une zone mutante, un hybris bizarre qui n'est pas dépourvu d'une certaine beauté tragique.
Le roman sert-il la vision du monde ou la vision du monde sert-elle le roman ?
Il n'y a pas de différence, c'est la même chose. C'est le roman qui naît en moi. Ce n'est pas moi qui me dis « Ah bah tiens, je vais faire un roman qui va s'appeler Cosmos Incorporated. » Le roman a envie d'exister, il a envie d'être écrit et va se servir de moi comme d'un instrument. Pas l'inverse.
Votre roman est très dense — tant du point de vue de l'écriture que des idées qui y sont brassées. En ce qui concerne celles-ci, où puisez-vous ces inspirations, si tant est que vous les puisiez quelque part ? Et donc, comment travaillez-vous ?
À partir du moment où le roman s'est imposé comme une vision de cette fin du monde — il faut savoir qu'apocalypse ne signifie pas « fin du monde » mais « révélation », il fallait que celle-ci se révèle, justement, à travers le processus littéraire qui se mettait en jeu dans mon cerveau. En même temps, pour moi, la densité est aussi une forme de respect du lecteur. Aujourd'hui on a un peu tendance à faire des bouquins qui sont comme des recettes de cuisine. Moi, je n'ai pas peur de dire à mon lecteur : « Attention, là, c'est l'Anapurna. Donc, tu vas te taper huit mille mètres, et en plus on va passer par la face nord. » Il faut donc que je donne au lecteur les instruments nécessaires pour gravir cette montagne. La première partie du livre correspondrait à l'ascension de la montagne, jusqu'au sommet, c'est-à-dire au moment où l'on se rend compte que Plotkine n'est pas ce qu'il croit être, qu'il est un autre « je », que, pire, il est une fiction devenue chair par le pouvoir de sa traductrice, sa narratrice, Vivian McNellis.
Cosmos Incorporated fait appel à de nombreuses références...
La référence fondamentale est une vieille querelle scolastique du XIVème siècle, quand saint Thomas d'Aquin se dresse contre les tenants des théories d'Averroès, qui avait inventé le monopsychisme. Ça consiste à dire qu'il n'y a qu'un seul psychisme qui est une sorte de force démiurgique, ce qu'il appelle « l'intellect agent séparé », donc séparé aussi bien de Dieu que de l'âme humaine. Une sorte de force autonome, qui se pense à travers nous et qui nous pense. Cette théorie trouve alors écho à la Sorbonne auprès d'un certain nombre de théologiens catholiques de l'époque, et saint Thomas se dresse contre en disant que l'homme est un être pensant, un être libre. Pour moi, le monopsychisme, c'est le point d'ancrage en Occident du nihilisme, le moment où ça va déraper. Ça va donner ce que j'appelle les « fausses lumières », puisque pour moi, les vraies lumières ont lieu au Moyen Âge. Ça va se confirmer avec l'émergence des idéologies modernes, à partir de la Renaissance, c'est-à-dire le libéralisme, le nationalisme, la destruction de l'Europe, les guerres de religion, la Révolution française, le stupide XIXème siècle, comme disait Léon Daudet, les guerres mondiales, le XXème siècle, et puis là où on en est maintenant.
En lisant Cosmos Incorporated, on a le même sentiment qu'en lisant K. Dick, c'est-à-dire de lire quelque chose d'à la fois génial et confus.
Le problème, c'est que la vérité provoque la confusion. Il n'y a que les rationalistes qui pensent que la vérité est quelque chose de simplificateur. La vérité est au contraire un niveau supérieur de complexité à chaque fois. Donc je peux comprendre l'impression de confusion qui ressort de la lecture d'un livre comme celui-là. Je pense que cette confusion est simplement un différentiel qui n'est pas comblé, par le lecteur ou par l'écrivain. On n'est pas habitué à voir le réel, c'est-à-dire ce qui est invisible, puisque le reste est la programmation de nos perceptions. Quand un livre, soudainement, ouvre une porte sur cet invisible, la confusion semble être là, mais en fait, c'est que l'on n'a pas franchi le degré de complexité nécessaire pour y voir une nouvelle étape. C'est un risque à prendre en littérature, puisque, pour moi, le roman doit susciter un travail à l'intérieur du crâne du lecteur — et de l'auteur aussi, d'ailleurs. C'est une aventure collective, et il faut que ça explose, que ça déverrouille tout un ensemble de concepts, de programmes qui ont été implantés en nous et qui font que tout paraît simple, normal. Mais la vérité, ce sont les fous et les saints qui la connaissent.
« "Je suis un catholique futuriste" »
Propos recueillis par Olivier Germain, L'Homme Nouveau, n° 1327, 4 juillet 2004, p. 4.
Il agace, surprend, énerve. Dénoncé comme nouveau réactionnaire, Maurice G. Dantec, auteur de romans, tient également un journal aussi libre de ton que de pensée. On aime ou on n'aime pas. On reste rarement indifférent. Devenu catholique, il n'a perdu en rien de son mordant. Lui qui refuse désormais tout dialogue avec la presse française a bien voulu accorder une exclusivité pour L'Homme Nouveau. Âmes sensibles s'abstenir…
Vous avez reçu le baptême de l'Église catholique et romaine en ce début d'année. Quelle est, pour vous, la signification essentielle d'une telle démarche, si atypique dans le monde « intellectuel » ou « artistique » ?
La signification du baptême est, me semble-t-il, assez simple : en entrant dans le baptême, comme le disaient les anciens Pères grecs de l'Église (bien moins forts en philo que MM. Bourdieu, Zagdanski ou Onfray, faut-il le souligner) la Lumière entre en vous.
Et Spiritu Sancto Et Igni, disait saint Luc. La Lumière du Christ, celle du Verbe Incarné, c'est en fait une joie ineffable pour un homme comme moi, elle ouvre enfin la voie à la pacification. Elle ouvre la voie à la restauration poétique du monde.
Quant au « monde intellectuel » de la République des Guillotineurs, il n'y a franchement plus rien à en dire. Laissons-les se déconsidérer à jamais face au jugement des générations futures, celles qui leur demanderont des comptes, après la destruction de la civilisation européenne par le néo-despotisme asiatique qu'est l'Islam. Que voulez-vous dire à propos des gestapettes de la presse aux ordres ? Comment envisager de répondre à Jules Joffrin ou Arnaud Viviant autrement que par une chouette discussion mano a mano, dans quelque impasse tranquille ?
Dès vos premiers romans, l'on a senti votre intérêt pour les questions spirituelles et ontologiques, celle de l'existence du Bien, mais surtout la recherche des « racines du mal » de l'homme. Est-ce une (re) découverte personnelle de la chute, sujet tabou en cette ère hyper-rousseausiste ?
Tous mes romans sont en fait une exégèse de la chute, mais je ne m'en suis rendu compte que plus tard.
Vos parents, penseurs communistes, votre nietzschéisme originel ou encore vos errements de jeunesse, plutôt nihilistes, n'ont-ils pas, paradoxalement, permis cet étonnant « renversement » de la conversion ?
Oui. C'est de l'ordre de la chimie expérimentale. Cela ressemble à une expérience qui aurait « mal tourné ».
Je veux dire « mal tourné » pour les puissances du nihilisme.
La découverte de Léon Bloy a-t-elle servi de catalyseur définitif à votre expérience littéraire et religieuse ?
« Il faut considérer la destruction comme point préliminaire », disait Ernst Jünger, que j'ai eu l'inconscience de placer en exergue de Villa Vortex.
Ce qui, je crois, a le plus dérangé les petits écrivaillons du « sérail », Café de Flore, ou Université Paris VIII (les deux ne sont d'ailleurs pas incompatibles) c'est précisément que je n'ai pas suivi la voie des petits rigolos d'étudiants attardés de leur espèce, pour qui l'apprentissage du grec ancien par une roulure post-marxiste est – c'est un exemple – plus important que celui du Mawashi Geri, ou du coup de boule dans la face.
Or, être Grec, c'est philosopher à coup de javeline, pour paraphraser un auteur célèbre. Être Grec, aujourd'hui, c'est être un space dog, comme dans Fight-Club.
En fait, et c'est ce qui semble déconcerter gravement vos contradicteurs-censeurs, vous avez ainsi rejeté crânement tout rationalisme, de forme et de fond, à contre-pied de tous les dogmes du jour, y compris dans l'Église de France (et du Québec où vous êtes « exilé »). Les « Lumières » ne sont-elles pourtant pas l'alpha et l'oméga de toute réflexion « intellectuelle » ?
Les Lumières voltairo-rousseauistes sont la rampe de sélection finale de la pensée européenne, celle qui conduit aux chambres à gaz. Pourquoi donc pensez-vous que toute la racaille négationniste, Garaudy, Thion, Rassinier, Faurisson, j'en passe, sont sans exception d'anciennes crevures gauchistes, voir le cas exemplaire de cette catin idéologique nommée vieille taupe, myope, décatie, et impuissante ?
Vous avez par ailleurs déclaré, il y a un an, au Figaro, que votre catholicisme est « celui du Christ, de saint Paul, de saint Jean, des Pères de l'Église », en ajoutant : « Je ne me reconnais pas dans le pseudo-catholicisme actuel, avec ses paroissiens bon teint qui vont aux JMJ avec un tee-shirt 'I love Jesus' et jouent de la musique folk sur les marches de l'Église. » Dantec, un tradi ?
Comme Giovanni Papini, ou Salvador Dalí, je suis un catholique futuriste. Le christianisme est la religion du futur, parce qu'elle est celle de l'origine. Alpha, Oméga.
Jean Renaud, rédacteur en chef de la revue Égards, vous a d'ailleurs qualifié avec pertinence de « catholique futuriste ». Qu'est-ce à dire ?
Il faisait référence à l'auteur futuriste italien auquel je faisais allusion plus haut. Le Christ est a-temporel, l'Église de Nicée ou de Chalcédoine est bien plus « moderne » que les lamentations humanitaires des prêtres islamophiles de l'an 2000.
Concrètement, que reprochez-vous à une partie de l'Église actuelle ? Sa sécularisation ? Son relativisme contre-nature ? Ou bien encore son manque de courage et d'invention théologique face aux nouveaux enjeux planétaires ?
Vous m'ôtez les mots de la bouche, si j'ose dire. Tout cela en même temps, et pire encore : l'œcuménisme baba-cool avec les fanatiques musulmans, la non reconnaissance des crimes du communisme soviétique ou maoïste dans les écrits conciliaires de 1958-1962, l'antisionisme latent (je reste calme), voire l'anti-américanisme acharné de ces prêtres modernes que je ne suis pas loin de considérer avec l'œil que Simon de Montfort posait sur ces archéo-anarchistes de Cathares.
Vous déclarez avec force que nous vivons les prodromes de l'Apocalypse. L'Église et les chrétiens seraient donc à la croisée des chemins. Quelles sont alors les voies de Salut pour l'homme et la chrétienté ?
L'Avènement-Retour du Christ.
« Entretien avec Maurice G. Dantec : "Sus aux bien-pensants !" »
Propos recueillis par ?, Médias, n° 1, juin 2004.
Celui qui se présente comme « un type bizarre » persiste et signe. Pour lui, il n’y a pas d’interlocuteur maudit. L’auteur sulfureux de la Série noire défend les « dialogues transversaux ».
Que pensez-vous de la volée de bois vert que vous a valu votre échange avec le Bloc identitaire ?
Pourquoi croyez-vous donc que j’ai fui la France, sinon parce que, pris entre la vérité du cataclysme et la police des idées, je ne pouvais que choisir l’exil ? Mon erreur aura été de croire que, parce que je vivais en Amérique du Nord, mes écrits seraient protégés par la Constitution américaine ou canadienne. J’avais oublié en effet que la France est une sorte de « Mini-Chine Pop » et qu’elle s’assure d’un contrôle étatique sur la production écrite — et même électronique maintenant ! — de ses citoyens que ne renierait pas un apparatchik de Pékin !
Lorsque j’aurai acquis ma nationalité canadienne, j’envisage sereinement de renier ma citoyenneté française, l’idée commence pour de bon à faire son chemin. On est en fait toujours surpris par ce mélange de lâcheté, d’inexpiable bêtise, de crasse intellectuelle qui provient de la multitude des bien-pensants, et de leurs maîtres à « penser » des tabloïds culturels. Mais en fait, au moment où tout cela est arrivé, je venais d’achever les corrections du Théâtre des Opération III (celui dont la maison Gallimard, sous la pression de Pierre Marcelle, et des autres, s’est vue obligée de retarder la parution) et j’étais sur un nouveau roman. Je n’ai pas très bien réalisé ce qui se passait durant les tout premiers jours. Jusqu’à ce que des amis « bien informés » me fassent comprendre que j’avais placé ma tête sur le billot, au moment où tous mes ennemis s’y attendaient le moins. La surprise fut, je crois, égale de part et d’autre.
Ces « dialogues transversaux », seriez-vous prêt à les mener avec des personnes, des groupes qui vous sembleraient menacer des idées qui vous sont chères comme « la défense des valeurs judéo-chrétiennes » ou « la pérennité de la civilisation européenne » ?
Je l’ai déjà fait : la réponse en fut une bordée d’injures et de sarcasmes — voir, par exemple, ma mésaventure sur le site uzine.net, avec Mona Chollet et sa meute, en 2001. Cela promettrait aujourd’hui d’être vraiment très chaud, autant dire qu’il vaudrait mieux, une fois de plus, que je me taise.
Avez-vous, à un moment, regretté d’avoir échangé ces courriers avec le Bloc identitaire ? D’être allé trop loin ?
Non, ce que j’ai regretté, peut-être, c’est de les avoir rendus publics sans aucune précaution. Mais je persiste à penser qu’il faut dialoguer avec ces gens-là, comme avec d’autres, précisément pour essayer de changer certaines de leurs préconceptions les plus préjudiciables à leur propre combat, s’il s’agit de se battre pour la liberté et pour le christianisme. Mais en fait, si j’en crois Pierre Marcelle, je me trompe : il vaut mieux attendre tranquillement que 15 ou 20% de la population française soit islamisée, dans le contexte géopolitique que vous savez, et qu’en retour, le FN fasse au moins 40% des voix. Pierre Marcelle et ses groupies du Nouvel Obs ou des Inrocks n’ont jamais vu de guerre civile ? Cela va bientôt changer.
Vous vous affichez comme un défenseur d’Israël. Mais n’avez-vous pas le sentiment que certains, au nom du « devoir de mémoire », de la Shoah, tentent de disqualifier toutes critiques de la politique actuelle des autorités israéliennes en les taxant d’antisémites ? Où fixez-vous la limite entre critiques et antisémitisme ?
Oui, hein ? Et comme c’est bizarre, ce sont précisément toutes les pleureuses du « devoir de mémoire », du Nouvel Obs à Ardisson, de Lefait à Nick Mamère, qui aujourd’hui sont les plus férocement antisionistes, les plus opposées à la « grande politique » de Bush et de Sharon ! Je signale à ce titre qu’il est tout à fait permis de chier à longueur de temps sur Sharon, Begin ou Golda Meir, et que c’est précisément la gauche pacifiste israélienne qui est « éthiquement inattaquable ». Rappelez-moi ? Combien de sketchs « zumoristiques » déjà, au sujet des pacifistes ? C’est qu’encore une fois les intorsions du nihilisme restent incomprises.
Je n’ai pas la place de faire autre chose ici qu’une rapide synthèse : mais comprenez bien que les vrais antisémites, de « gauche » ou de « droite », préféreront toujours un « Juif » plus ou moins « assimilé » à la République — vivant dans une diaspora, privé en fait de son identité — donc plus ou moins de gauche ou de droite, et athée, c’est-à-dire une victime, désignée comme telle dans les deux cas : commémoration pleurnicharde ou phantasme d’extermination, qu’un Juif se battant pour sa terre, sa nation, biblique, vieille de 55 siècles.
Je suis contre tout recours aux tribunaux tant que les limites du droit véritable ne sont pas franchies, comme aux USA (pas d’appels nominaux au meurtre, etc.). M. Warschawsky (exemple) et les organisations non gouvernementales propalestiniennes ont donc le droit de dire tout ce qu’ils veulent à propos d’Israël, ce n’est pas mon problème. En revanche, j’ai le droit, moi aussi, de dire ce que je veux d’Arafat et de ceux que je considère comme des kapos de l’islamisme. M. Warchawsky a donc le droit de dire de Sharon qu’il est un « criminel de guerre », en toute diffamation. Je ne me priverai pas en retour de lui jeter à la face le fait qu’il est — lui — le complice objectif des exterminateurs de Juifs.
Comment réagissez-vous à ce qui est devenu « l’affaire Dieudonné » ? Si vous aviez été à Paris, seriez-vous allé manifester devant l’Olympia pour défendre son droit à la liberté d’expression ? Les humoristes ont-ils le droit de tout dire, de tout brocarder ?
Les Zumoristes ont le droit de rire de tout. À condition qu’ils fassent rire. Je ne suis certes pas pour un recours systématique à la justice, surtout pas dans le cadre « juridique » (est-ce encore un juris ?) français. En revanche, rien ne nous interdit de leur dire tout haut ce que nous pensons de leur humour de pétomanes nazis lorsque c’est le cas, pour Dieudonné comme pour les Guignols de l’info. Idem pour les groupes de rap racistes vantant le « viol des Blanches » et la destruction de la civilisation francaise.
Michel Houellebecq pour avoir dit que « la religion la plus con, c’est quand même l’islam », Oriana Fallaci pour son pamphlet « La rage et l’orgueil » ont été poursuivis par des organisations antiracistes. Comment jugez-vous ce recours aux tribunaux pour trancher entre ce qui peut être dit et ce qui ne doit pas l’être ?
C’est l’arme des faibles et des petits inquisiteurs moralitaires. Celle des Djerzinsky cuculturels à la mode Arno Vivianov. Ils sont à leur sommet. Donc leur ère s’achève. Je comprends leur panique. À ce titre, je m’étonne de n’être pas déjà poursuivi par la justice franchouille pour au moins quatre ou cinq chefs d’inculpation, le moindre n’étant pas : propagande pour la guerre. Il faudrait d’urgence prévenir les juges de la République. Une association charitable, comme Ras l’Front ou le Mrap, saura sûrement y pourvoir.
Avez-vous le sentiment que les interdits ont évolué avec le temps, que certains sujets sont plus difficilement abordables aujourd’hui ? Y a-t-il régression du débat démocratique ?
Débat ? Quel débat ? Y a-t-il débat en ce moment ? Toutes les véritables questions politiques d’importance qui engagent le sort de la France et de la civilisation européenne sont systématiquement bannies des médias, des débats publics, de toute micro-forme de discussion — voir ce qui m’est arrivé pour deux e-mails et deux expressions un peu rudes extirpées de leur contexte !
Pourquoi ? Parce qu’il s’agit du fondement même de la Révolution française et de son régime de « terreur » démocratique. Dans l’ère des nihilismes post-modernes, cette terreur est éparpillée en chaque citoyen, qui devient le flic des autres, et d’abord de lui-même. Tout ce qui remettrait en question le Grand Simulacron jacobin doit être immédiatement proscrit, et j’en comprends très bien la raison : ce Grand Simulacron de l’État français ne tient plus qu’à un fil. Lorsqu’il sera coupé, tout s’effondrera.
En France, le « débat » doit se tenir entre gens du sérail. Sur le plan politique : ce n’est tout de même pas un type qui n’a pas fait Paris VIII qui pourra venir nous parler de Deleuze et tenir tête au professeur Linderberg ! Sur le plan littéraire : ce n’est quand même pas un auteur cyberpunk de série noire qui va nous apprendre à lire Nietzsche, de Maistre, Blanchot ou Abellio !
Vous dénoncez la « bien-pensance » dans les médias dominants. Que voulez-vous dire par là ? Et qui visez-vous exactement ?
Si nous devions tenir à notre tour une « blacklist », j’ai peur que toutes les pages de l’annuaire parisien n’y suffisent pas. Ils signent en toute tranquillité leurs crimes contre la lettre et l’esprit, chaque semaine, voire chaque jour, dans leurs quotidiens et leurs hebdomadaires. On les a entendus à la radio, sur France Inter, le 1er février dernier, se vautrer, comme le dénommé Arnaud Viviant, dans la fange pestilentielle qui leur tient lieu de « culture ». Je laisserai maintenant le soin à l’histoire, ou ce qu’il en reste, de juger ces Francisque Sarcey de la littérature d’après la littérature.
Vous êtes un utilisateur assidu d’Internet. Avez-vous l’impression de trouver sur la Toile des informations que ne diffusent pas les grands médias traditionnels ?
C’est même la principale raison du succès d’Internet ces dix dernières années, au moment même où la chape de plomb idéologique, en Europe occidentale, commençait à dépasser en pesanteur ce que les ex-républiques populaires de l’Europe de l’Est tout juste libérées du communisme avaient connu durant un demi-siècle !
Internet véhicule aussi des informations fausses, invérifiables ou d’autres encore nauséabondes. Comment faire le tri ?
Cela s’appelle : sélection, recoupements multiples, vérifications par voies indirectes. Un travail de flic. Ça tombe bien, je suis auteur de romans « policiers ».
Croyez-vous que la provocation est la bonne méthode pour faire bouger les gens, les faire réfléchir par eux-mêmes ?
Seuls ceux qui sont capables de penser, pensent ; seuls ceux qui sont capables d’agir, agissent. Je ne suis pas un « provocateur », cela ne m’intéresse absolument pas, à la différence d’Alain Soral — « agitateur social depuis 1976 », appellation garantie.
Vous vivez au Canada depuis 1998. Est-ce à dire que vous estimez pouvoir vous y exprimer plus librement qu’en France ?
À peine plus, mais assez pour entreprendre de devenir Nord-Américain : le Canada est à mi-chemin entre l’Ancien et le Nouveau Monde, il ne s’est jamais vraiment trouvé. Paradoxalement, cela veut dire que tout, ou presque, reste à faire. Quant au Québec lui-même, jamais je n’ai vu une telle dévolution du langage et de la pensée. C’est le nihilisme noam-chomskyen à tous les coins de rue, à chaque colonne de journal ; festival du livre anarchiste par-ci, manifs pro-Arafat par-là, « performances anti-guerre » entre les deux : un antiaméricanisme typiquement franchouillard, mais en plus jésuite, et sans la moindre culture politique véritable. Ici, l’antisionisme de « gôche » a très bien su se marier avec l’antisémitisme latent du « souverainisme-nationalisme » des Québecois qui, je le rappelle, soutinrent massivement Pétain jusqu’en 42 (avant que les USA ne leur bottent les fesses) et se refusèrent par un vote 2/3 – 1/3 à toute conscription pour libérer le sol de France et d’Europe (il fallut un ordre anglo-fédéral pour que les Québecois acceptent de mourir contre le nazisme) ! Après, ces gens-là viennent constamment vous prendre la tête avec le méchant empire britannique d’Amérique du Nord. Ils en ont d’ailleurs trouvé un nouveau encore plus méchant, et encore plus américain, à 80 km au sud de Montréal !
« "Je suis sioniste, et je le dis" »
[Février 2004], propos recueillis par François Medioni, Subversiv.com, 4 mai 2004.
En premier lieu, qu'est-ce qui vous a motivé à entrer en contact avec les Jeunesses Identitaires ?
Cette mouvance est un rassemblement hétéroclite de jeunes gens perdus de l'Occident post-moderne. J'ai moi-même, étant jeune, il y a un peu plus de 20 ans, fréquenté durant un ou deux ans cette mouvance. Mon idée était d'entamer un dialogue ouvert et critique pour que les Identitaires aillent au bout de leur réflexion et comprennent la nécessité de l'unité mondiale des Chrétiens, du combat aux côtés de l'Amérique Impériale et du Royaume d'Israël contre l'alliance Verts-Bruns-Rouges.
En dépit de la propagande néotrostskiste des médias du pouvoir, ce ne sont pas des NAZIS : en effet, aujourd'hui les Nazis soutiennent ouvertement l'islam radical et se regroupent avec l'extrême gauche anarchiste, comme c'est le cas à grande échelle, vous le savez sans doute, en Californie. Visitez Aryan Nation, un exemple, puis les sites affiliés aux Identitaires, et établissez sans crainte les comparaisons, et les différences : elles sont sans compromis, me semble-t-il. D'autre part, et au-delà même de cette distinction, j'ai bien spécifié dans mon communiqué TOUT ce qui m'OPPOSAIT aux Identitaires, et sur des sujets non négligeables : comme l'Amérique ou Israël. Mais en France, vous n'avez le droit de vous adresser qu'à ceux avec lesquels vous êtes d'ACCORD, ou qui font CONSENSUS. J'aurais dû envoyer ma lettre au Dalaï-Lama, ou à Jacques Chirak le Bienheureux, rien ne me serait arrivé.
Saviez-vous que Maxime Brunerie qui a tenté d'assassiner Jacques Chirac appartenait à cette mouvance ?
D'abord, je m'en fous. Chirak n'est pour moi qu'un valet des islamo-gauchistes et des dictateurs pétrolifères. Il est au pied, tel le chien devant son maître, des Organisations Islamiques de France, qui lui font un socle électoral non négligeable : c'est un TRAÎTRE, il a trahi tout ce que pourquoi 3 générations de Francais se sont battus au XXe siècle.
Ensuite : Maxime Brunerie n'appartenait pas au Bloc Identitaire, mais à un groupuscule fasciste pro-islamiste nommé Unité Radicale, et avec lequel le Bloc Identitaire est, sur cette question centrale justement, en totale rupture – et encore : en fait Brunerie n'avait je crois qu'une carte de militant du MNR, le parti de Mégret ! Nous sommes en pleine manipulation stalinienne de l'information. En France, les rédactions ne sont rien d'autres que des appendices des Renseignements Généraux. Et le pire c'est que tout le monde le sait !
Que pensez-vous de l'idéologie des Jeunesses Identitaires et de l'extrême-droite en général ? Pensez-vous qu'elle est compatible avec l'idéologie qui sous-tend la civilisation occidentale : démocratie, droits de l'homme, anti-racisme (authentique pas la version MRAP) ?
Vaste débat. L'idéologie qui « sous-tend » la civilisation occidentale, cher monsieur c'est d'abord le Génie du Christianisme, durant 18 siècles. Ensuite : « démocratie », droits de l'Homme, antiracisme, ATHÉISME, c'est justement celle du MRAP, qui est venue recouvrir la première de son bavardage lénifiant ! Celle de ceux qui crient « mort aux Juifs ! » dans les manifestations pour la « Palestine » ! C'est celle des Lumières. Celle du rationalisme Jacobin-révolutionnaire. Celle de la République « laïque ». Celle du socialisme institutionnel.
C'est cette idéologie qui « paradoxalement » a selon moi conduit 6 millions de juifs à la chambre à gaz. Relisons Hannah Arendt et Heidegger ! C'est normal : toute cette idéologie moderniste-jacobine est arqueboutée sur la volonté de NIER DIEU, et donc toute souveraineté qui s'y rattache, et tout souvenir même de son existence. En cela le juif, le juif « croyant », « non-assimilé » à la matrice égalitaire athée républicaine, est un « problème », une « question » –n'est-ce-pas ? – comme le dirent les exterminateurs marxistes.
Hitler est un Saint-Just allemand, un Luther dégénéré mâtiné de Lénine.
NOUS AUTRES, Chrétiens-sionistes, n'avons pas comme bases idéologiques les terroristes de 1793, de 1870, 1933, ou 1917 !
Le Monde et Libération ont-ils déjà tenté dans le passé de vous discréditer ?
Depuis la parution du Théâtre des Opérations, I et II, la haine à mon endroit ne cesse de monter : c'est que ces gens là m'ont d'abord soutenu, voire encensé. Or, en France, la coutume est de lapper la main du maître médiatico-culturel qui vous a donné quelques miettes à grignoter et permis de vous faire une « carrière » dans la littérature. Si vous ne respectez pas la coutume, vous êtes pire qu'un Judas, car vous démontrez non seulement la mesure de votre liberté, mais celle de leur propre servitude.
Selon vous, pourquoi la mouvance des bobos gauchos vous déteste-t-elle autant ?
Voir la question précédente. Ils me détesteront d'autant plus que je leur montrerais leur propre visage, hideux et cosmétique, dans le miroir de ma littérature : ils y verront la mort au travail, qui les ronge, et les panique.
Quelles sont vos positions concernant les USA, Israël ?
J'écris depuis dix ans. Depuis dix ans j'ai toujours affirmé très clairement mon soutien à la civilisation américaine. Et depuis dix ans, je dérange pour cela. C'est que je ne suis pas un de ces « pro-américains » qui, comme monsieur Colombani, du Monde, braille avec la foule que « nous sommes tous américains » au lendemain du 11 septembre, pour tout de suite après cracher virilement sur les 300,000 GIs morts sur le sol de France, lorsqu'il s'agit de faire pour de bon la guerre au terrorisme et aux dictateurs pétrolifères. En cela, vous noterez que Le Monde, ce n'est pas autre chose que La Voix de la France.
Ma conception de l'Amérique a de quoi surprendre un pigiste de la presse Chirakienne, soyez en sûr. Comme en ce qui concerne Israël. Je crois en la destinée manifeste du peuple américain comme je crois en la destinée manifeste du peuple juif, du Peuple de la Parole. C'est pour cette raison que je suis complètement cinglé et bon à enfermer dans les asiles psychiatriques de la République. C'est pour cette raison que les nazillons trotskistes de Libération se déchaînent contre moi.
Pensez-vous qu'il y a aujourd'hui un conflit entre l'occident et l'islam ?
Ce conflit vieux de 14 siècles est brutalement réactualisé à l'heure de l'Armageddon nucléo-orbital, à l'heure de la Technique-Monde. Cela, vous le savez, était ÉCRIT, dans les DEUX Testaments.
C'est pour cela que l'on cherche à me faire taire, de toute urgence : je prétends disséquer les composantes géopolitiques, historiales et eschatologiques de cette Guerre, et je le dis. Je suis Chrétien et je le dis, je suis Sioniste, et je le dis, je crois en la civilisation occidentale, et je le dis, je suis opposé à l'islamisation de la France – et de l'Europe –et je le dis, je suis opposé à la barbarie néonazie des organisations terroristes palestiniennes et je le dis, je suis pour les États-Unis et contre l'ONU, et je le dis.
Je ne mérite rien de moins que la potence.
Vous revendiquez votre catholicisme et vous soutenez les États-Unis et Israël, pourtant, la droite et la gauche catholique, pour des raisons différentes, sont généralement hostiles à Israël et aux États-Unis. Comment expliquez-vous cette position atypique ?
Le monde change. Le christianisme est en crise mais cette crise est aussi son SALUT. La Guerre en cours est une Prophétie. Aux USA Catholiques, Évangéliques, Juifs, dressent un front commun contre le nazisme islamique et la post-modernité anti-occidentale. En Europe, et en France tout particulièrement, l'athéisme jacobin révolutionnaire aura exercé sa néfaste influence pendant tout le XXe siècle : mais cela est TERMINÉ. Il existe désormais une ligne de convergence ABSOLUE entre les vrais Chrétiens et les Juifs, contre les néo-phillistins d'une Église post-concilaire qui est en train de s'auto-détruire. En « Palestine », des changements ont lieu. Désormais les Catholiques d'Orient commencent eux aussi à réfléchir et à se demander quel serait leur sort dans l'état indépendant d'Arafat et du Hamas.
D'autre part, notre tradition (méta)nationaliste, européenne, et chrétienne vient de Joseph de Maistre, PHILOSÉMITE bien connu. Et je ne parle pas de Bloy, Boutang, Abellio et bien d'autres : c'est cela être un Chrétien-Sioniste (voir votre dernière question).
Depuis plusieurs semaines, vous êtes mis en cause et stigmatisé dans un certains nombre de médias français, pensez-vous que cela soit dû à vos positions politiques ?
Évidemment. Je suis contre TOUT ce qui fait bander le Franchouillard centriste bobo d'aujourd'hui. Contre Chirak. Contre les 35 heures. Contre Nick Mamère. Contre le rap nazi-cool. Contre le pacifisme. Contre Arafat. Contre les Guignols de l'Info. Contre Pierre Marcelle. Contre Thierry Ardisson. Contre Tariq Ramadan...
Quelles sont selon vous les autres motivations de cette campagne ?
La haine des nabots et des écrivaillons post-modernes, tel l'inénarrable acarien Arnaud Viviant, et ses complices de la Nomenklatura intellectuelle parisienne. Tous ceux qui trouvent la lecture de mes romans « insurmontable ». Tous ceux qui ne supportent pas qu'un gars de ma génération ne s'agenouille pas devant le premier caca « déconstruit » de ses contemporains.
Pensez-vous que cela soit susceptible d'avoir des répercussions sur votre carrière littéraire ?
Cela en aura, c'est certain. Ou alors vous ne connaissez pas la République Populaire de France.
François Medioni a quitté l'agence Guysen pour créer son propre site internet quelques semaines après avoir refusé cette entrevue, prétextant le manque d'audace éditoriale de son patron.
De: Maurice Dantec, Montréal, Canada
A : Guy Senbel, Agence GuySen, Paris, France
Date: 10 avril 2003
Monsieur,
Il y a de cela un trimestre maintenant, la presse néo-collaborationniste « française » a cru bon déclencher contre moi une campagne haineuse et stupide, ayant pour motif deux emails un peu énervés que j'avais envoyé à un groupuscule nommé « Bloc Identitaire » que les délateurs aux zordres assimilent faussement à Unité Radicale donc au méchant-fasciste-psychopathe Maxime Brunerie. Mes positions sur Israël, les États-Unis, la fausse Europe de Bruxelles, la guerre « métanationale » en cours, etc, sont connues maintenant depuis longtemps. C'est ce parcours hétérodoxe qui, je crois, vous avait à l'époque intéressé. C'est le fait qu'enfin une agence de presse sioniste s'intéressait à mon cas, certes un peu « spécial », qui m'avait en retour donné beaucoup de cœur à l'ouvrage, dans le combat contre les Marcelle. C'est ce qui avait permis, je le pense sincèrement, que je puisse conduire avec le représentant de votre agence, M. Medioni, une entrevue fort enthousiasmante, et sans doute « rare », si vous m'accordez 5 secondes de fatuité. Malheureusement, votre confrère s'est conduit au final comme un imbécile, permettez moi de vous le dire en toute franchise. Alors que j'étais attaqué de toutes part par les collabo-bobos et les nazillons trotskystes, M. Medioni n'a rien trouvé de mieux à faire que de me prévenir sans ambages que l'entrevue était totalement CENSURÉE, par le simple fait que j'avais osé citer Léon Bloy parmi mes auteurs de prédilection ! Comme si Léon Bloy – relisons avec calme son Salut par les Juifs et ses violents pamphlets contre Drumont et les antisémites de son époque – pouvait être responsable de la Shoah ! Que se serait-il passé si j'avais osé dire « Céline » ? C'est à M. Brami, grand spécialiste et amateur de cet auteur, et juif pratiquant, qu'il faudrait demander cela. Quoiqu'il en soit, j'ai considéré cet acte de censure comme la preuve que la connerie était de fait, bien partagée sur cette planète. J'ai pris alors la décision d'envoyer copie de tout « le bouzin », comme on dit, y compris la correspondance au vitriol avec M. Medioni, à mon ami Micha Glit, du site Subversiv.com, qui pourra vous affirmer que je ne suis pas un suprématiste blanc, ni un amateur de nabots autrichiens. Le temps a passé ; je n'ai pas voulu rajouter d'huile sur le feu. Micha m'a appris qu'il s'était mis en contact avec vous, en vain, pour étudier une mise en ligne éventuellement commune de cette entrevue. On ne lui a toujours pas répondu. Je considère pour ma part que nul n'a le droit de vouloir me faire taire, sans s'exposer au ridicule, et je reste courtois. J'autorise donc par la présente mon ami Micha Glit, du site Subversiv à faire ce que bon lui semble de l'entrevue QUE J'AI BIEN VOULU ACCORDER À VOTRE AGENCE et que celle-ci a crû bon interdire d'antenne. J'aurais espéré, de la part de sionistes soi-disant convaincus, un peu plus d'intelligence.
Bien à vous,
MgD
IN SPIRITU SANCTO ET IGNI
Saint-Luc
« Maurice G. Dantec : "Je viens d'acheter un doberman" »
Propos recueillis par Micha Glit, Subversiv.com, 25 janvier 2004.
Maurice Dantec a accepté de répondre aux questions de notre envoyé très spécial, en pleine polémique autour de son courrier au « bloc identitaire » et suite aux articles parus à son sujet dans Le Monde et Libération.
Maurice Dantec, vous avez écrit cette semaine aux membres du « bloc identitaire ». Tenant compte de l'abîme qui sépare votre pensée de l'idéologie de ces jeunes obscurantistes, on peut s'interroger sur votre démarche. Espérez-vous sauver quelques-unes de ces âmes tordues ?
Premier point : si ces gens là sont des « obscurantistes », j'aimerais qu'on me dise comment qualifier la députasse Borloo qui a expliqué ouvertement que « La France était un Pays du Maghreb » ! Et la Finlande, sinistre truffe révisionniste, c'est une province du Zimbabwe ?
Je désirais donc achever de compromettre ma carrière d'écrivain « fascisant », pour reprendre les mots de la presse des bobos. C'est vrai, ces gens là sont d'affreux nazis-de-droite, opposés à l'islam, et avec lesquels des différents d'ordre politique m'opposaient — on dira — virilement. Mais quelle importance ? Ce qui compte aujourd'hui c'est de discuter avec qui nous SOMMES BIEN TOUS D'ACCORD.
J'aurais dû envoyer ma lettre au Dalaï Lama, à Nick Mamère, à Tariq Ramadan ou à Jacques Chirak le Bienheureux, il ne me serait rien arrivé.
Vous avez autorisé les membres du « bloc » à publiciser votre missive. L'onde de choc médiatique a-t-elle été à la hauteur de vos attentes?
Bien au-delà : oser souhaiter la bonne année à des « complices de Maxime Brunerie », vous vous rendez compte, heureusement que la Police du Nouvel Ordre Moral veille, grâce à Al-Libiratioune, et au Mondistan (appelé parfois le Courrier des Renseignements Généraux).
En prêchant des positions sionistes et pro-américaines aux jeunes nationalistes, vous risquez de foutre un sacré bordel dans l'extrême-droite française. C'est le but ?
J'oserais dire que vous commencez à vous approcher de la vérité. Évidemment, les chiennes de garde patentées de l'ordre nazi-centriste pro-islamique ont empêché qu'un tel débat, qui aurait pu s'avérer explosif, ne se tienne. Quel progrès des droits humains !
Michel Houellebecq a fait reparler de lui il y a quelques semaines en publicisant ses rencontres avec Raël. Il a déclaré : « Mon cas est déjà relativement grave, mais j'ai quand même le droit de fréquenter qui je veux ». Même combat ?
Sur le principe, OUI : est-ce qu'on reproche aux racailles néo-léninistes du Monde Diplomatique d'aller en vacances chez notre Ami-Le-Fidel. A-t-on reproché à Marc-Édouard Nabe ses voyages guidés à Nadjaf où paraît-il je ne me rends pas assez souvent ?
On s'inquiète un peu pour vous, puisqu'on a cru comprendre que votre éditeur menace de vous lâcher. Vous avez assuré vos arrières ?
Sur le net, on me fait comprendre fort gentiment que je risque de publier mes prochains écrits en samizdats. Dois-je considérer cela comme un HONNEUR dans la France des salopes chirakiennes ?
En passant, les quartiers branchés de Montréal, c'est mieux que les quartiers bobos parisiens ?
Ah, ces pigistes coprophages, envieux de la moindre différence qui les ramène à leur quotidien merdique, celui de la Mairie de Paris. Mon appartement branché ne vaut pas le dixième de la chambre de bonne mansardée d'un écrivaillon abonné au Café de Flore. Je n'ai de compte à rendre à aucun Arnaud Viviant, qui palpe des avances pour des bouquins indigents dont on ne sait même s'ils seront publiés, et pas plus aux catins des rubriques culturelles, qui nous ont « vendu » Guillaume Dustan, Catherine Millet, Amélie Nothomb, et tous ces autres fameux « sous-prolétaires » de la littérature.
Votre avis sur le dernier album de Diams ?
Je ne connais pas. Comme vous le savez, en ce moment, j'écoute en boucle des chants militaires allemands, et je viens d'acheter un doberman.
« Interview Maurice G. Dantec »
[Septembre 2003], propos recueillis par ?, Ozymandias, n° 1, janvier 2004, p. 52-55.
Polar ou SF ? Dantec se fiche bien de la réponse. La littérature comme arme de destruction massive, du punk et du cyber comme s'il en pleuvait. La lecture de ses romans est une expérience comparable à la noyade, si on ne reprend pas sa respiration, on sombre…
Après Villa Vortex, l'auteur des Racines du mal nous livre un aperçu halluciné de sa vision nietzschéenne du 21ème siècle. Âmes sensibles s'abstenir…
Quand on cherche une interview de Maurice Dantec sur le web, on est surpris de voir que vous en accordez souvent à des e-zine. Vous avez l'air assez proche de vos lecteurs et de votre public ?
Non, je ne crois pas. En tout cas les médias, quels qu'ils soient, sont par moi traités avec un souci quasi-républicain d'ÉGALITÉ, c'est d'ailleurs le seul cas de figure où cela se présente.
Vous écrivez des romans assez singuliers dans le paysage littéraire français pourtant on ne cesse de vouloir vous définir, roman noir, cyberpunk, anticipation. Avez-vous le sentiment d'appartenir à un mouvement particulier ou peut-être de lui donner naissance ?
Un mouvement ? Non, je ne pense pas. Les mouvements artistiques, surtout après 1945, ne m'intéressent guère. Je suis un auteur, je fais mon boulot, on me paie pour ce boulot. Le lien le plus proche que je trouve c'est tueur à gages pour la mafia.
Vos derniers ouvrages, Théâtre des Opérations et Villa Vortex, ont été beaucoup critiqués. Quelle est votre réponse à de telles critiques ?
Le problème, c'est que précisément ils n'ont pas été CRITIQUÉS. Cela nécessiterait en effet l'existence d'une critique. On ne peut tout de même pas demander à Nelly Kaprièlian, des Inrocks, ou à la Miss Bouquins du Nouvel Obs, d'être à la hauteur de ce que devrait être le rôle de « critique ». Il faudrait en effet pour cela qu'elles apprennent à lire, à écrire, et savoir établir une différence entre Christine Angot, un malade atteint d'éléphantiasis, et un écrivain.
Le sens de récits d'anticipation semble aujourd'hui confisqué par sa clôture au sein du débat inhérent à l'humanisme. Pensez-vous que ces récits soient l'ultime rejeton du rhizome des « Lumières » européennes ?
J'ai voulu faire en sorte que mes récits, et mon journal, soient une arme de destruction massive contre ce rhizome pourri. Mes romans sont délibérément anti-humanistes. On me l'a souvent reproché.
Après le Meilleur des Mondes, Aldous Huxley a écrit son antithèse : Ile. Un système où la liberté et l'harmonie règne. Pour vous, à quoi pourrait bien ressembler ce monde idéal ?
Monde et idéal sont pour moi deux mots qui forment de fait un oxymore.
Apologie du désastre, présent déshumanisé… Y a-t-il une lueur d'espoir dans votre vision du futur proche ?
« L'espoir, cette chaîne de l'esclavage » – disait Nietzsche. Je ne suis pas un vendeur d'espoir, ni d'ailleurs pas plus de désespoir. Pour la première catégorie, voyez Francis Cabrel ou Sarkozy, pour la seconde, la plupart de nos groupes de rock dit « alternatifs » et leur soutien indéfectible à tout ce qui peut, de près ou de loin, être mêlé à la destruction de la civilisation occidentale.
Quel sera selon vous le scénario des années 2010 ? Parmi tous les éléments du marasme ambiant (violence urbaine, politique corrompue, pollution dévastatrice) desquels faut-il VRAIMENT avoir peur ?
À votre avis (êtes-vous sérieux ?) : la IVème guerre mondiale qui a commencé il y a très exactement deux ans et deux jours (le 11-09-01 – ndlr). Car elle CONJUGUE TOUS les autres aspects du « marasme » – comme vous dites.
Quel regard portez-vous depuis là où vous vivez, sur l'Amérique de Georges Bush, et sur la vieille Europe ? Va-t-on vers la faillite des états ? Un chaos rampant mondial ? L'émergence d'une conscience collective ? L'abrutissement des consciences ?
En préliminaire : Bush est le rempart du Monde Libre et Chrétien contre le totalitarisme islamique et ses alliés gauchistes. La Vieille Europe, comme son nom l'indique, est une antique catin édentée dont la bouche est grande ouverte au passage des organes du Mollah pétrolifère moyen.
1) faillite des États : oui faillite des États-nations, surtout de la République Franchouille. Toujours en panne de système de climatisation ?
2) chaos mondial : oui, chaos contre chaos, code contre code, monde contre monde, Islam contre Occident.
3) émergence d'une « conscience collective » : en observant les cucurbitacées de l'antimondialisation, et leurs déambulations manifestatoires, de José Bové à Bertrand Cantat (momentanément en vacances en Lituanie), de Nick Mamère au Facteur Trotskiste, le mot « collective » me semble on ne peut plus approprié. C'est le mot « conscience » qui me pose un problème. La première syllabe, peut-être…
4) abrutissement des consciences : comme je le notais à votre précédente question, pour abrutir une conscience, encore faut-il que celle-ci existe. Avons[-nous] la preuve formelle qu'un gauchiste pacifiste et antimondialiste est réellement doté d'un CERVEAU, et non d'une plateforme PC pour Internet ?
Pour revenir à la littérature, le scénario du film La Sirène rouge d'Olivier Megaton tiré de votre roman homonyme a été réalisé par Norman Spinrad, est-il un auteur que vous appréciez ?
Spinrad fut un de mes auteurs fétiches de SF dans les années 70-80. Il reste selon moi un des piliers du genre.
Il y a-t-il un projet que vous souhaiteriez mener à son terme si vous en aviez les moyens financiers et technologiques (même le plus fou…) ?
Je vais essayer de réaliser un ou deux court-métrages. Je verrais ensuite si je suis capable de diriger un film. Malgré ce que disent les catins de la presse aux ordres, j'ai une ambition très raisonnable. Je ne souhaite pas même un Prix Nobel.
Votre intérêt pour Gilles Deleuze est affirmé clairement dans votre œuvre et votre musique, on connaît d'ailleurs par une confidence de l'intéressé son goût pour la science-fiction. Avez-vous quelque hypothèse pour expliquer son curieux silence à ce propos dans son œuvre publiée ?
Deleuze n'a pas eu le temps d'écrire tout ce qu'il avait en tête. Richard m'a confié qu'au moment de sa mort il travaillait à un livre sur la musique. Il y a fort à parier que s'il avait vécu aussi vieux que Régis Debray, Jean d'Ormesson ou Mazarine Pingeot, il aurait certainement traité le domaine de la littérature d'anticipation.
Un timide débat a commencé, à l'orée du siècle, entre philosophie et récit d'anticipation. Pensez-vous que la philosophie soit aujourd'hui sommée de s'expliquer avec la science-fiction ?
Bravo pour votre locution, c'est exactement ça, nous, écrivains, nous SOMMONS les « philosophes » de s'expliquer sur le XXème siècle, et celui qui s'en vient. Inutile de préciser que nos méthodes serons musclées. Ce sont en effet ces enculés d'universitaires pompeux qui nous envoient en camps de concentration depuis un siècle.
Donc si par hypothèse, l'Université faisait un jour droit à quelque chaire d'herméneutique (interprétation – ndlr) du récit d'anticipation. Postuleriez-vous ?
Le jour où je postulerais dans une Université ce sera en tant qu'Entrepreneur en Démolitions.
Enfin, pour terminer, Maurice Dantec… avez-vous une âme ?
Mon psychanalyste marxiste est persuadé que non, on me dit qu'il ne serait pas impossible que quelques rappeurs en soient dotés. Descartes pensait, lui, que comme tous les animaux, cela leur était impossible.
Merci beaucoup.
C'est moi qui vous remercie,
Avec mes transatlantiques salutations –
From Montréal –
« Villa Dantec »
[15 avril 2003], propos recueillis par Nicolas Rehbi, Subversiv.com, 25 juin 2003?.
« Un individu ne peut ni aider ni sauver une époque, mais seulement constater sa perte ». Cette phrase de Kierkegaard qui ouvre le premier tome du Théâtre des Opérations, résume très bien Maurice G. Dantec. Né le 13 juin 1959 à Grenoble, il passe son enfance entre Grenoble et Ivry sur Seine. S'il a eu la chance d'avoir des parents communistes –un père journaliste scientifique, une mère couturière – il a surtout eu la chance d'avoir des parents qui ont su s'opposer aux dogmes qu'ils ne jugeaient pas en adéquation avec leur pensée. En cela il se dit fier d'avoir évolué dans une famille prolétaire « lettrée » comme il le rappelle souvent.
Après une enfance plutôt calme à rêver des exploits de Gagarine, Dantec rencontre en 1971 Jean-Bernard Pouy qui l'initie à la littérature. Fin 70, début 80, Dantec s'essaie à des études de lettres, dans des groupes de musiques, notamment Artefact, zone de droite à gauche et va de petits boulots en petits boulots. En 1990, comme il l'explique si bien lui-même, il se consacre à l'écriture, car « c'était soit ça, soit la clochardisation! ». En 1993 sort donc La Sirène Rouge. Dantec part à Sarajevo et en 1995 commence à faire sérieusement parler de lui avec Les Racines du Mal. Il revient un peu à la musique en 1996 avec No One Is Innocent, signant des textes sur l'album Utopia, et en 1997 avec Richard Pinhas fonde le projet Schizotrope.
Dantec, déçu par une Europe qui pour lui s'est définitivement suicidée en ex-Yougoslavie, termine Babylon Babies et s'exile à Montréal en décembre 1998. Le roman sort en mars 1999. Au sommet de la gloire, si l'on peut dire, il décide de couper les ponts et fustige ce qu'il appelle le « nihilisme planétaire » dans les deux tomes de son journal. Entre temps, son roman La Sirène Rouge est adapté au cinéma en 2002 par Olivier Megaton. Dantec y fait une brève apparition. Véritable terroriste de la littérature, « combattant » du Logos, Dantec décide de dire haut et fort ce qu'il a à dire, quitte à passer au vitriol les oreilles les plus crasseuses. Un nouveau cycle s'annonce avec son dernier roman, Villa Vortex, premier volet de la trilogie Liber Mundi, paru en mars 2003 aux éditions Gallimard.
Pour commencer, expliquez-nous pourquoi Villa Vortex ?
En fait, il y a beaucoup d'interprétations possibles mais la vérité factuelle c'est que le livre devait s'appeler « Vortex », et en fait ça ne m'a pas été possible pour des raisons légales parce qu'une bande dessinée italienne a déposé le nom. Étant dans le même « domaine » en matière de protection légale bd, roman, tout ça j'imagine que ça fait partie du même ensemble de choses – ça m'était impossible sous peine de voir Gallimard batailler dans un procès, j'avais vraiment pas envie de ça. Donc, vu que le vortex est un principe physique qui a été à la base de toute la rédaction du roman, c'était très ennuyeux pour moi, mais j'ai pu plus ou moins rattraper le coup si tu veux en y ajoutant le substantif « villa », parce que dans le roman si tu veux, on va dire qu'il y a une maison qui est l'habitacle du vortex, qui est la maison du tueur en fait, mais il se trouve aussi que d'une manière simplement consonante « villa », ça me rappelait aussi « ville ». D'ailleurs, étymologiquement ça vient de là, donc j'aurais pu faire « Vortex Ville » mais bon j'ai choisi « Villa Vortex » parce que la « villa », cet espèce de pavillon de banlieue archétypale me semblait quand même assez représentatif de la vision de l'urbanisme que j'avais essayé de décrire dans mes descriptions de la banlieue, dans ce qu'est la banlieue, à part les cités qui sont décrites aussi – j'aurai pu faire « Vortex City » ou « Cité Vortex » – mais la « villa », le pavillon de banlieue me semblait encore plus représentatif de..., j'allais dire d'une certaine forme de fin de l'urbanisme, donc j'ai choisi ça.
Il y a donc un rapport entre le fait que cette maison, dans sa description, soit vide ?
Exactement. Oui parce que c'est un livre sur le nihilisme alors en même temps il fallait que cette maison soit comme son illustration urbanistique, c'est-à-dire un rien, un nihil, dans lequel est construit toute une pathologie. C'est pour ça que je l'ai appelé comme ça au final.
J'ai donc regardé l'émission Campus et j'ai lu quelques interviews sur le net, ainsi que des critiques, et ce qui revient tout le temps c'est le terme « roman total ». Seulement on sait pas trop ce que ça représente. Qu'est-ce que vous avez essayé de faire ? Une sorte de journal mêlé à une fiction... ?
Non, un journal non, c'est plus complexe que ça si tu veux. On va dire que l'histoire de Kernal-le-flic au cours des années 90, enfin de 89 à 2001, pendant ces douze années, c'est un peu l'incarnation de ma propre histoire intellectuelle. Au-delà du fait que je n'étais pas flic, que tout ce qui est de l'ordre de l'anecdote flicarde, si j'ose dire, c'est pas ma vie, mais toute sa démarche intellectuelle et sociale on va dire, c'est-à-dire une sorte de nihilisme absolu conjugué à une découverte paradoxale des vieilles religions, du christianisme, de la Kabbale, de choses complètement hors du temps en fait, c'est un peu une sorte de ligne parallèle à ma propre évolution intellectuelle. Ça c'était une chose que j'avais envie d'essayer de retranscrire. Mais pas sous la forme d'une autobiographie...
La découverte des livres...
Oui, c'est ça oui, construire une bibliothèque par exemple qui est une de mes activités principales. La confrontation avec le crime, avec le nihilisme, la violence urbaine... Bon c'est vrai que dans le roman si tu veux, Kernal et Nitzos correspondent à deux aspects, euh...
Deux possibles d'une même personne...
Oui, tout à fait, deux possibles, tu as très bien résumé.
Le personnage de Nitzos, toute sa vie jusqu'à Sarajevo, c'est votre vie...
Tu as très bien résumé, c'est deux vies parallèles, deux possibles. Un qui va du côté de l'ordre étatique et de sa violence, et un autre qui va du côté du désordre esthétique et de sa violence aussi. J'avais les deux en moi et je n'ai pas trouvé d'autre solution que de scinder ces deux démarches en deux personnages qui en fait, c'est vrai, n'en font qu'un.
Est-ce que le fait que Nitzos meurt à Sarajevo, ce n'est pas une métaphore – du fait que vous injectez des éléments de votre vie dans celle du personnage – pour dire que vous aussi vous êtes « mort » à Sarajevo ? Et du coup, que vous avez pris vie à Sarajevo en tant qu'écrivain ?
Tout à fait. Même si effectivement je suis allé à Sarajevo alors que j'avais déjà commencé à écrire, c'est sûr que cette expérience-là a été déterminante...
Lorsque Nitzos dit « si je reviens, je deviens écrivain »...
Tout à fait, même si elle est un peu transposée dans le temps, c'est tout à fait une métaphore.
Dans Le Théâtre des Opérations (TdO), tome 1 et 2, vous parlez d'un bouquin inspiré de l'idée du « Jihad butlerien » de Frank Herbert, avec une réflexion sur la fin de l'Homme et la nécessité pour la « post-humanité » de se développer au-delà de la Terre, de conquérir l'espace. Or, ce projet est nommé « Liber Mundi » et doit mettre en scène Darquandier, Toorop, les Babylon Babies et l'entité Joe-Jane. Quel rapport avec Villa Vortex, premier tome de la trilogie à venir Liber Mundi ?
Ah oui ! C'est pour un autre roman ça. Ça n'a pas de rapport avec Villa Vortex et ça ne fera pas partie de la Trilogie. C'est encore autre chose, un autre département du ministère !
Donc l'idée de la bibliothèque de combat, base de la trilogie, et l'histoire de Darquandier qui en bossant sur l'entité Joe-Jane essaye de synthétiser son comportement en une équation, comme décrit dans le TdO 2 sous le nom « Liber Mundi », sont en fait deux choses totalement différentes ?
Oui, ce sont en fait deux bases différentes. Mais c'est vrai qu'il y a souvent des recoupements dans ce que je fais, il y a des thèmes qui sont communs dans les cycles romanesques, mais ce dont tu parles et ce que j'avais précipitamment appelé « Liber Mundi » dans le TdO 2 sera autre chose. Ce sera effectivement pour moi le moyen de conclure toute cette entreprise romanesque qui a commencé avec La Sirène Rouge, Les Racines du Mal, Babylon Babies...
Oui parce ce que dans La Sirène Rouge, on voit Toorop, dans Les Racines du Mal, c'est Darquandier...
Dans Babylon Babies, on les réunit, et après, il va s'agir de les faire mourir d'une certaine manière, de clore l'affaire ! Mais ça voudra dire aussi clore, déjà une partie de ma vie d'écrivain, et une certaine manière d'écrire aussi. Disons que cette clôture et cette réouverture ont commencé avec Villa Vortex. Je fais un peu dans le désordre je dois dire, je ne suis pas un garçon très ordonné !
Pour revenir sur Villa Vortex en lui même, j'ai lu dans l'entretien que vous consacrez à Périphériques – un recueil de textes et nouvelles paru en même temps que Villa Vortex – que votre style était très cinématographique. Vous répondiez alors que vous étiez allé au bout du processus et que ça ne se reproduirait plus. J'ai donc été surpris de voir de quelle manière, très technique, vous décrivez les lieux, les scènes au sein de la première partie du roman. C'est carrément un script à certains passages ! Que s'est-il passé ?
Oui, c'est tout à fait exact, que s'est-il passé ? Justement pour pouvoir passer à l'autre étape, il fallait que j'aille au bout de la démarche. C'est la raison pour laquelle, à l'intérieur du roman, la technique cinématographique est devenue importante pour moi, en tant que telle. Dans mes trois précédents romans, c'était de l'ordre de l'illusion, c'est-à-dire que c'était les effets de réel de la littérature naturaliste. Avec Babylon Babies, j'ai senti que je touchais la limite de ça. Et en réfléchissant un petit peu avant d'écrire Villa Vortex, l'idée m'est venue qu'en fait le meilleur moyen de clôturer cette étape, c'était de réinjecter la technique cinématographique non pas sous forme illusoire, mais carrément dans le corps du texte, de manière très technique. Dans la première partie du roman, c'est le visuel poussé jusqu'à la perversion technique si j'ose dire.
Comme on parle de cinéma, j'étais surpris de vous voir faire une apparition dans l'adaptation de La Sirène Rouge car j'ai lu que vous vous étiez un peu éloigné de ce projet suite aux diverses réécritures du scénario. Était-ce plus un clin d'œil, comment ça s'est passé ?
En fait Olivier Megaton s'est servi d'une contrainte, à savoir qu'il n'avait pas d'acteur pour jouer ce rôle. Il s'est dit « tiens si je faisais une sorte de camaïeu médiéval », c'est-à-dire le peintre qui se dessine lui-même mais derrière un pilier quoi...
Genre Vélasquez...
Oui. J'ai dit médiéval, j'aurai dû dire plutôt la Renaissance ! Donc après discussion j'ai dis oui, pourquoi pas. En plus, c'était pratiquement le seul rôle que je pouvais prendre en fait. Celui d'Ari Moskiewicz, le chef de réseau souterrain...
Justement, on sent déjà, même de très loin, que des thèmes de Villa Vortex sont effleurés dans les autres romans. Par exemple, le caractère de Moskiewicz, personnage secret, qui amasse une somme folle de connaissance, qui agit en souterrain, en parallèle...
Oui, disons que chaque écrivain à des thèmes récurrents, obsessionnels... J'ai un groupe de thèmes plus ou moins reliés les uns aux autres, la constitution d'une connaissance secrète, occulte disons, fait partie depuis le début des choses que j'ai en tête.
Pour continuer sur Villa Vortex, tout à l'heure on parlait de la technique cinématographique, mais on sent aussi chez vous le côté musicien. On a l'impression que vous avez pris ce côté années 80, échantillonnage, et que vous avez une écriture très synthétique. En fait vous prenez de vos sources – que vous citez en plus, que vous répertoriez, on pourrait dire – comme des « samples » que vous « mixez ». Votre écriture est très musicale en fait.
Oui, c'est tout à fait ça. C'est aussi pour ça que dans le roman, la musique électronique à aussi une importance. La numérisation du travail sonore, échantillonnage de voix... En fait, j'ai conçu un peu ce bouquin comme une table de mixage. Console dans laquelle il y avait des inputs, par exemple le nihilisme planétaire, la numérisation des corps et des esprits, la ville-monde, le rock'n'roll, la musique électronique, la destruction de la ville par elle-même, la Kabbale, les vieilles sciences antiques, le Zohar, la Bible,... et de tout ça, il s'agissait de faire un lexique qui, comme on dit dans le métier, tienne la route quoi ! J'ai fait plusieurs « mixes » avant d'arriver à ce résultat là. Le résultat dit final du roman, c'est la quatrième version en fait !
Donc cette fois vous avez pas mal retravaillé ?
Je n'ai fais que ça ! En fait, j'ai mis six mois à écrire l'ossature générale, ce qu'on pourrait appeler la rythmique, et après... Si tu veux, entre le fond et la forme du roman, j'ai constamment essayé de jouer en aller-retour, par exemple de manière corrélative, le fait que je fasse d'abord un squelette et qu'après j'y mette de la chair, des tendons, des veines, des nerfs, etc. Finalement, c'est exactement les premiers versets de la Genèse, et ils ont une importance assez fondamentale dans le bouquin puisque c'est la création de l'homme, donc la dé-création de l'homme...
Au lieu de six jours, vous avez mis six mois !
Oui, je suis pas Dieu le Père ! Donc, si tu veux, le processus de fabrication du roman est devenu un thème du roman lui même. Plus qu'un thème, je dirais quelque chose comme un... comment je pourrais appeler ça ? Un peu comme la couleur d'un son justement, qu'on peut donner au mixage, quelque chose qui est un peu partout sans être vraiment nul part !
Ça, on le sent surtout dans le quatrième monde, c'est-à-dire la partie du roman qui débute avec la mort de Kernal. Avant d'embrayer vraiment sur l'histoire de Franz Narkos, du Bibliogon, tout ça, bref l'introduction du tome à venir, il y a trois chapitres uniquement consacrés à ce thème de la fabrication du roman, une sorte d'auto-analyse...
Absolument. D'une part, ça permet de pallier les incompétences de la critique ! Et surtout, c'était le moment où le livre devait se retourner sur lui-même et où effectivement, devait émerger une piste qui est de l'ordre de la critique, de la théorie de la littérature. Je ne pouvais pas, et d'ailleurs je peux de moins en moins, mettre des cases un peu étanches entre tout ça. Je ne pouvais pas mettre dans des compartiments la narration, la théorie de la littérature, le fait que le roman doit se construire à l'intérieur même de cette narration et que la narration doit se construire par la théorie de la littérature qui est engagée à ce moment là. Disons que là, c'est vrai que c'est très expérimental pour moi, mais je ne pense pas avoir fait œuvre d'innovation radicale en faisant ça ! Je pense à des gens comme Burroughs ou d'autres qui ont fait ça il y a quarante ans ! C'est difficile quand même de faire des romans types, naturalisme un peu plan-plan, une sorte de réalisme social mais branchouille ! On te décrit plus les ouvriers qui sortent de l'usine de Boulogne-Billancourt, mais on te décrit les petits branchés qui rentrent au Palace, ou au Bains plutôt ! Donc bon !
Pour revenir à ça, vous affirmez que ce n'est pas dans la continuité du TdO...
Non, pas du tout. Mais c'est un roman très politique !
Justement, on sent la coupure nette, notamment au niveau de la critique, puisque ceux qui vous encensaient pour les trois premiers romans, plus axés sur la fiction, si l'on peut dire – du genre « Dantec, roi du cyberpunk » ou « le nouveau Héros de la SF » – ont rejeté les TdO, et rejettent maintenant Villa Vortex parce qu'on ressent beaucoup ce que vous pensez.
Je vois ce que tu veux dire. Comment expliquer ça ? Je considère être écrivain, premièrement parce que j'écris, mais ce serait presque une conséquence, c'est parce qu'en fait, je suis un homme libre. Ce que pense le critique ou même mes lecteurs m'importe peu ! Le lecteur trouve ce qu'il veut. S'il n'aime pas le roman, c'est son droit, mais je ne vais pas me plier aux ordonnancements préétablis de la critique par rapport à ce que doit être un roman de Dantec par exemple ! Là encore pire !! Parce qu'au bout d'un moment, il y avait comme une sorte d'attente, avec Les Racines du Mal et Babylon Babies, une tendance à vouloir fair