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Préfaces

achtung2012

« Achtung Baby »

[2012]

1) 1970 : Year Zero

 

1969, Ok – Well across the USA – it’s another year for me and you – another year with nothin’ to do…

Alors que la décennie des Sixties frôlait sa dernière minute, Gene Genix s’éveilla de ses deux millénaires de sommeil paradoxal et se fit la remarque qu’elle ne paraissait plus vraiment en mesure d’éblouir encore le monde de sa sémantique universelle : Peace, Love, Sex, Drugs, RockNRoll.

The Beatles allaient bientôt désarmer leur Revolver par un « Let It Be » éminemment prémonitoire, Andy Warhol était devenu la personnification sérigraphiée de son célèbre slogan factoryste, très vite le Purple Haze Astro-Man cramerait son cerveau-guitare pour une toute dernière fois, les Portes de la Perception se refermeraient funéraires sur une chambre d’hôtel parisien, le Rye et le Whisky serviraient d’eau bénite à la Rouquine céleste.

Simultanément, Apollo-11 faisait de Star Trek un moment d’actualité en MondoVision et 2001, Odyssée de l’Espace, semblait ouvrir un horizon vertical à une humanité chargée de bombes H et de bons sentiments.

Puis un Homme-Iguane fit irruption pyroclastique, ganté lamé-argenté modèle Rita Hayworth revisited MinuteMan, il surgissait des cratères métallurgiques de Motor-City en cherchant et en détruisant tout sur son passage, les pistoleros de l’Ouest ne chassaient plus les tribus comanches mais les trésors de guerre confédérés ou quelques dollars de plus, un écrivain décrété paranoïde annonça à l’aide d’une bombe aérosol qu’il était vivant et que nous étions morts, un flicard de San Francisco continuait de porter le costard façon Frank Sinatra, mais un Smith & Wesson .44 magnum en sautoir, et le sourire du tueur à gages au coin des lèvres.

Bref, lorsque Gene Genix ouvrit les yeux en cet instant fatidique il sut de tout son instinct cyborg que c’est sur une planète en état de « semi-vie » que son regard se posait.

L’An Zéro venait tout juste de commencer et il ne devait rien aux pathétiques utopies élaborées à la Sorbonne ou à Berkeley. Le 21e siècle s’annonçait prématuré, génétiquement modifié, avec une vie solaire d’avance, il était en train de produire la Littérature Générale du Monde d’Après, la bande sonore des Hommes d’Après, les crimes de masse de la Vie d’Après.

Seuls quelques cerveaux en avaient capté le rayonnement létal/vital et Gene Genix, sous son influence, se mettait à exhiber les Atrocités et les Carcrash Sets comme formes ultimes du langage et de la sexualité, devinait l’émergence des dominions du capital génétique et faisait d’Adolf Hitler un auteur d’Heroic-Fantasy.

Il était probable que ce futur qui s’annonçait très proche prendrait la forme d’un monolithe noir.

En guise de pierre tombale où seraient inscrits quelques milliards de noms.

2) 1975 : Tyranny & Mutation

 

Une micro-seconde auparavant, on entendait encore les masses flower-powerisées entonnant d’un bel ensemble « sous les pavés la plage » en brandissant les étendards du Goulag ou l’emblème cruciforme de la Calandre de la Paix. Bande son, au choix : le post-Pink Floyd de Roger Waters, exécuteur testamentaire en titre de Syd Barrett, les grandiloquences néoclassiques de Yes, Queen ou d’Emerson-Lake-and-Palmer, ce qui subsistait des Kosmische Kurriers germaniques, la progressive-music formatée Genesis, Gentle Giant, Rush, Jethro Tull, ou bien, pire encore, les hordes hard-rock lookées brushing teen-rebellion et pantalons à rayures bicolores, le tout accompagné de la banalité californienne devenue ligne d’horizon indépassable : Eagles, Kansas, Styx, REO Speedwagon, Fleetwood Mac avec, pour finir dans l‘abominable, les débuts déjà tonitruants des People du Village discoïde.

Jim Morrison, quelques mois avant sa propre mort, avait lâché l’épitaphe en une seule phrase.

ROCK IS DEAD.

Mais, sans doute le savait-il déjà, le rock’n’roll, comme tout Golem, était-il déjà ressuscité. Une seule lettre y différenciait sur son front les mots « mort » et « vérité ».

Alors, un big-bang auparavant, tandis que les foules décérébrées hallucinaient sur un Ibiza mis à nu par mai 68, quelques seigneurs et nouvelles créatures avaient déjà édicté la Nouvelle Loi de l’Électricité : Sous la plage, les rayons UV.

Le bronzage était garanti intégral, jusqu’au troisième degré.

ROCK WASNT DEAD BUT MUCH MORE DEADLY

AS THE SOUNDTRACK OF THE ATOMIC DANDIES.

Le rayonnement frappa Gene Genix de plein fouet, thermocirculaire, photonucléaire, saturation exponentielle, expansion verticale cernée d’anneaux ardents, le Ghost Rider chevauchait une motocyclette au réservoir chargé de rayons gamma, et ce qui consumait les bandes-sons à l’intérieur même des cortex qu’il croisait inscrivait au laser une poignée de livres extraits d’une bibliothèque à très haute vélocité.

Celle de la lumière.

Lorsqu’elle se fait noire.

Il était temps de mettre le feu à toute cette époque.

Et à celles qui s’ensuivraient.

 

La décennie fut ainsi tranchée nette par le couperet d’hélium liquide tombé du ciel de fer, c’est-à-dire le tarmac d’un Culte Bleu où les traités secrets s’élaboraient à l’ombre des Messerschmidt 262 et d’une meute de chiens-loups vous offrant comme unique choix : on your feet or on your knees, alors qu’une limousine noire blindée traversait votre champ de vision, une cathédrale post-gothique en arrière-plan.

L’Année Zéro montrait le visage du temps présent, celui qui passait, tel un train sauvage éclatant de rire en surjouant les esthétiques totalitaires, alors que le totalitarisme cool camouflait son fondement d’une tunique hindoue tissée Scientologie.

La locomotive sauvage avait croisé la route du Ghost Rider post-atomique. Son rire tonitruant rayait des cités entières de la carte et plus encore, toute une littérature de « fiction » qui avait oublié que « science » était inséparable de « spéculation », pour ne pas dire « Révélation », et qu’après Auschwitz et Hirosaki, le visage du futur était celui d’une bouche écrasée par une botte, puis celui d’une botte s’offrant le luxe de parler en direct, avant d’harmoniser une mélodie vantant les lendemains qui chantent.

Alors la locomotive sauvage avait congelé son rire en le modelant rictus du bombardier fatal.

Forteresses urbaines contre citadelles souterraines, Buildings haute sécurité contre catacombes mobiles, tyrannies néocratiques contre mutations sans âge, un livre ouvrait sa bouche pour avaler les bottes, il surgissait d’un Triangle des Bermudes où s’engloutissaient les avions de la ligne claire, New-York, Londres et Paris en triple hélice d’un ADN codant l’indicible. C’est-à-dire le réel.

Gene Genix observait les Anges Gris qui survolaient la face cachée de la Terre, cartographiant chaque ville par son obscurité du dessous, au moment où le Groupe Netchaev faisait du collimateur le symbole actif de la vitrification humaine considérée comme un des Beaux-Arts, et que la Police Spéciale répressait-progressait au nom des Droits de l’Homme.

Celui qui vit en faisant ses devoirs à la perfection.

 

 

3) 1977 : Cities On Flames With Rock’N’Roll

 

Locomotive Rictus était donc son nom de baptême. Il était à la fois the Bible and the Gun, il dirigerait le Ghost Rider cybernatif vers les deux pôles magnétiques à la même micro-seconde, défoliant au passage tous les équateurs rencontrés, méridiens et parallèles en topographies pirates, cartes et territoires décodés/surcodés où chaque mot deviendrait la Chose Venue d’un Autre Monde, mode d’emploi kamikaze réservé à ceux pour lesquels Paris, New-York et Londres dansaient déjà avec elles-mêmes.

Gene Genix s’était constitué en parallèle toute une bibliothèque de pseudonymes, identités clandestines manufacturées Espionnage Alphanumérique. Jo-Hell Ussen, par exemple, Joâl Hussayn parfois, Joël Houssin, surtout, pour tromper le petit flic-prof souvent vissé dans le crâne des membres du Peuple Sain qui lisaient encore quelques livres.

Un Dieu vivant allait sauver une Reine empaillée en prenant les commandes d’une péniche zigzagant sur la Tamise, un gang de frangins sortis de leur Queens natal allait décréter l’ouverture des hostilités par la Blitzkrieg Bop des mômes entassés sur les banquettes arrière, fenêtres grande ouvertes, un quatuor made-in-France osait le cuir noir KGB tout en transmutant ses synthétiseurs en Katiouchas déviantes de l’ère proto-électronique. Le roman noir adoptait la position du tireur couché, et faisait de Karl Marx la machine à écrire des tueries productives, tandis que Guy Debord, cet aimable farceur aux chemises blanches amidonnées par les bonniches familiales de service, s’efforçait de faire oublier son passé d’artiste contemporain en décryptant la « marchandise », Hercule Poirot du fétichisme industriel qui allait impressionner de son jargon universitaire toute une génération en mal de savoir-vivre-la-Révolution.

Pendant ce temps, le Soviet des Droughies se reconstituait Motor Club des Oranges Mécaniques et choisissait le titane électro-acoustique en guise de Beethoven. L’Ode à la Joie formait désormais toute une Division prête à en découdre pour dix mille Stalingrad à la fois.

Un seul roman. Gene Genix l‘avait lu deux années de suite, attendant que la masse critique soit réunie.

Tout en sachant qu’elle était en train de l’être.

Les trois cités étaient déjà en flammes, mythologies sacrifiées sur l’autel pyrique de la métaculture électrique, la cité qui ne dormait jamais plongeait dans un sommeil paradoxal sans fin, la Ville-Lumière se drapait de l’obscurité de toutes ses trahisons accumulées, la Capitale de l’Empire où le soleil ne se couchait jamais devenait le trou noir où disparaissait en riant une jeunesse qui refusait d’être circonscrite à un simple acte de présence.

Locomotive Rictus était son nom de baptême.

La nef était radio-active, l’autel émettait sur la fréquence 3 degrés Kelvin.

Gene Genix accomplissait les Saint Sacrements qui s’imposaient.

Le Monde, déjà, celui qui avait mis tant d’efforts à se configurer humanitaire, devenait ce qu’il était, une simple statue de sel, une minéralité objectale, un conglomérat de vulgaire silice, et bientôt de silicium.

Gene Genix aimait les claviers, les écrans et les processeurs. Ce monde serait le sien, il le tiendrait bien en laisse, il en ferait son doberman.

 

 

4) 1984 : Power Station To The People

 

Il s’en était fallut de peu. Alors qu’une force tranquillisante faisait promesse de sortir l’humanité nationalisée des ténèbres, un certain nombre de phénomènes paradoxalement disjoints et synthétiques se donnaient à voir. L’inventeur du roman néo-noir, qui aurait dû en toute logique y trouver son compte, bien garni, fit brutalement silence, alors qu’un peloton de suiveurs aux maillots estampillés Cuba Libre en profitaient pour prendre la parole, au nom de Léon Trotski ou de Mao-Tze-Tung. Les Hyper-Électriciens des cités sauvages devaient en toute hâte abandonner les mythiques blousons Perfecto et les cheveux peroxydés pour adopter l’uniforme disciplinaire et les costumes gris tendance soviétique, submergés qu’ils étaient par les Iroquois de la station Châtelet-Les Halles qui troquaient leurs chemises colorées pour le look du moment, antisocial en diable.

Et pour finir, la Locomotive au rictus nucléaire devait céder la place à des citronniers écologistes qui se découvraient une forme d’héroïsme littéraire en proclamant fièrement « avoir tué Jules Verne ».

La Locomotive ne s’était même pas préoccupée du sort de l’écrivain positiviste du 19e siècle, elle n’en éprouvait nul besoin, et se souciait fort peu de « critiquer » Phileas Fogg ou l’équipage de la Terre à la Lune, elle qui accomplissait avec la précision d’une horloge atomique le tour de l’heure en 80 mondes.

Gene Genix assista à cette parodie humanitaire de 1984 au moment même où une poignée d’écrivains cyborgs, en provenance d’un Nouveau Monde déjà âgé de deux guerres mondiales et de deux bombes A, teintaient leurs fictions spéculatives de verres-miroirs, scannaient le réel à coups de schismatrices, opéraient les cortex avec les scalpels électroniques de l’Ordre des Neuromanciens.

La Centrale Électrique de Dusseldorf s’était déjà substituée à la Banque des Rebellions en kit, préférant les mains brûlées au Radium de Marie Curie — Tuned into the melody — aux petits livres comptables de gangsters s’improvisant percepteurs de l’impôt révolutionnaire.

Devenue orbitale, extra-terrestre et donc hautement réelle, la Centrale Électrique émettait pour tous les mutants planétaires, où qu’ils se cachent, elle envoyait ses ondes au Peuple Plastique qui allait bientôt faire s’effondrer tout un Mur-Monde.

Alors Gene Genix se mit à parler.

Il dialogua radio-actif avec la Locomotive qui conserva intact son rictus, tel un rasoir posé délicatement contre la gorge de ce Mur-Monde.

La Locomotive cachait un accélérateur de particules littératronique, un cerveau-moteur évolutionniste qui ne devrait rien à personne, et surtout pas à ceux qui s’efforçaient péniblement d’imiter son parcours singulier et d’approcher sa vitesse-lumière.

La Locomotive conserva son rictus. Gene Genix prit les commandes du train. Il traversa l’écran des fictions impossibles. S’amalgama avec l’acier et le feu pour créer une nouvelle chair.

Une chair noire comme le soleil.

Lorsque la Chose vivante sortit du tunnel, son rictus courbait encore sa bouche, mais elle ne possédait plus de roues, et elle ne roulait plus sur les rails de la déviance génétique.

Gene Genix souriait de tous ses crocs.

Ses crocs de Doberman.

monde2000

« Le Monde d'en dessous »

in Hosmany Ramos, Marginalia [1987], trad. Michel Goldman, Paris, Gallimard, « Série noire », 2000, p. 7-9.

Je ne connais pas le Brésil, je veux dire je n'y suis jamais allé.

Je ne connais pas la prison. On ne m'a pas encore puni pour mes crimes.

Mon expérience de la mort est intime et peu spectaculaire, pour tout dire psychologique, ma connaissance de la violence est somme toute très limitée.

Il m'a suffi de lire cette terrible et hallucinante succession de nouvelles proposées ici sous le titre Marginalia pour que cette vérité apparaisse dans toute sa clarté.

Je ne vais pas ici faire la longue exégèse critique de cette oeuvre sans doute unique, et par son auteur, et par son style, et par la réalité qu'elle décrit.

Sachez donc qu'on aurait pu l'appeler Le Dernier Cercle de l'Enfer ou Le Monde d'en dessous. Apprêtez-vous à descendre dans les culs-de-basse-fosse de la civilisation, osez pour une fois contempler la face du crime dans toute sa hideuse vérité, défaites-vous une fois pour toutes de vos illusions humanitaires sur la nature de l'homme, et sur d'éventuelles conditions sociales exogènes à sa propre essence qui seraient à la racine du mal. Certes elles existent, mais, comme vous le verrez si cette lecture vous enseigne quelque peu, elles n'expliquent pas tout. Ce que cet homme a vécu, et ce que ces histoires racontent en un feu vif, énervé, précis comme un scalpel mais conduit comme une baguette de sourcier, c'est l'aboutissement tragique d'une culture basée sur la violence, le luxe, le sexe et les médias.

Marginalia ne vous propose pas autre chose qu'un voyage au bout du nihilisme contemporain. Il y a ici fort peu de complaisance pour les « valeurs » de la pègre. Vous verrez à quel point la solidarité est un concept pour le moins étranger à tout ce beau monde, en prison comme à l'extérieur. Pures expressions du consumérisme terminal ou apocalypses localisées sous forme d'émeutes récurrentes et auto-exterminatrices, le monde décrit ici ne ressemble à rien de ce que j'avais lu jusque-là concernant l'expérience carcérale. On y trouve pourtant certains éléments récurrents du monde concentrationnaire, mais la coloration si particulière des sentiments humains, des coutumes et des paysages en cette région du monde les rend à proprement parler démoniaques.

D'autre part, il ne fait aucun doute qu'une grande tristesse, une nostalgie pour un état définitivement éteint en l'homme se fait jour, comme de brefs affleurements, dans ce flot noir et sans rédemption autre que la mort.

Bref, je vous encourage vivement à en prendre pour quelques années, et à entrer dans ce monde inhumain, où la vérité de l'homme apparait, apportant peu d'espoir, mais son lot d'épreuves, ni temps ni espace, mais la promiscuité ou la solitude monacale, ni justice, ni rédemption,mais la dégradation continue, jusqu'au-boutiste, de l'homme désireux d'en finir, pour paraphraser Nietzsche. Très honnêtement, je ne sais par quel miracle une telle oeuvre a pu surgir, survivre quitter ce cloaque, qu'on nous montre enfin à voir sous son vrai jour, si tragiquement humain.

Maurice G. Dantec

Montréal, le 4 décembre 1999

To be continued...

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